Il y a l’objet, d’abord.
La couverture délicatement nervurée sous les doigts, la finition du blanc nacré qui scintille de façon subtile à la lumière, et le graphisme qui serpente sur toute la surface, des entrelacs noirs comme une carte de niveau dont la mise en couleur, ça et là, révèle la géographie sensuelle d’un corps de femme, le galbe des seins troublé d’une pointe de rose, la ligne du cou qui remonte vers la mâchoire saillante et la bouche aux lèvres ourlées, offertes – ou figées dans l’éternité des eaux, comme une Ophélie, flottante, dans un linceul de fleurs accrochées autour d’elle.
Il y a la forme, ensuite.
Cette mise en page qui alterne un sommaire comme un menu littéraire et trois courtes parties, circonscrites par l’alternance du graphisme, à nouveau, et des pages noires où seuls émergent des prénoms. Marine. Ondine. Marine Ondine.
Il y a, enfin, le texte.
Poème en prose.
Des lignes courtes. Qui claquent. Qui sonnent. Qui frottent.
Un minimalisme qui dit tout du désoeuvrement, de l’amertume, de la violence.
Un texte désinhibé pour deux histoires qui se rejoignent comme les entrelacs noirs de la couverture.
Persona (Ingmar Bergman)- Bibbi Andersson & Liv Ulmann
Marine, entre deux âges, entre la beauté et la laideur, qui flotte dans une vie où elle n’a pas sa place – son père en a certainement trop pris. Elle n’a jamais eu de désir. Elle perd sa virginité seule, à 36 ans. Sa deuxième fois sera avec un homme. Surgi de nulle part depuis l’écran de son ordinateur.
Ondine, elle, est si jeune, si belle. Et abîmée par la vie – sa virginité, elle, elle l’a perdu à 12 ans avec un homme « qui l’a un peu forcée ». Elle s’est enfuie de chez elle – ou sa mère l’a mise à la porte, elle ne sait plus très bien. Sauvée par une mauvaise rencontre, elle vend son corps tatoué et ecchymosé pour celui qu’elle aime trop et mal, pour une chambre, pour un peu de poudre.
Entre Marine et Ondine, ce seul et même homme.
Diane Schmidt, qui est graphiste, signe un premier roman détonnant, aussi bien dans son format que dans son style littéraire, bref, acéré et absolument poétique.
L’envie est une brume.
Où tant de navires ont échoué.
Elle glisse sur ma peau; se retire aussitôt;Comme l’eau sur le sable.
Juste un grain qu’elle me laisse à la tête,Pour me rappeler sa perte.
L’envie est une brume,Où j’ai cru te trouver, où je me suis perdue.
Coeur de pierre submergéOù s’écrasent les naufragées.
J’avale tout le sel de la mer,
Pour qu’elle me soit plus douce.
J’avale tout le sel de la mer,Pour pouvoir y couler.
Elle s’est retirée
Titre: L’autre chambre
Auteur: Diane Schmidt
Editeur: Envolume
Parution: 12 Mars 2019