Autour de lui, les sables sont mouvants et la mer, dit-on, remonte à la vitesse d’un cheval au galop.. mais le rocher reste campé au milieu de la baie, immuable et fier.
Depuis plus de dix siècles, son abbaye a résisté à tout, aux invasions, aux éboulements, aux incendies dont elle est sortie toujours plus grande et plus fière, sous la protection de l’archange Saint-Michel.
Le Mont-Saint-Michel, Dominique Fortier en est tombé littéralement amoureuse à l’âge de treize ans, jeune québécoise venue alors passer ses vacances en France, et l’idée du Mont ne l’a plus quittée, jusqu’à écrire cet ouvrage singulier et étrangement poétique, deux univers qui se rejoignent, le présent sous forme de carnet d’écriture de l’auteure, et le passé sous la forme d’un roman historique.
Le plus difficile, en essayant d’écrire le passé, ce n’est pas de tenter de retrouver la science, la foi ou les légendes perdues, de faire ressurgir les gargouilles et les tailleurs de pierre; c’est d’oublier le monde tel qu’on le connaît; c’est, dans ce monde d’aujourd’hui d’effacer tout ce qui n’était pas encore, tout ce qui existait mais échappait à la vue ou à l’entendement. Comment se priver de la moitié de ce que l’on connaît sans tout à coup avoir l’impression de devenir à moitié sourd et à demi aveugle? Comment oublier l’odeur du tabac, le goût du chocolat et le rouge de la tomate, comment ne pas voir sur toutes les tables un trou en forme de pomme de terre?
Quel est le point commun entre Éloi Leroux, peintre qui s’est réfugié entre les murs de l’abbaye en cet an 14** perclus de chagrin après avoir perdu la femme qu’il aimait, et Dominique Fortier qui raconte son histoire en parallèle?
En quoi se rejoignent leurs histoires à six siècles de distance, tandis que l’un réfléchit au sens de la vie après la mort de son amour, et que l’autre retrouve l’écriture après avoir donné la vie?
C’est toute la magie de ce livre.
Naviguer d’une époque à l’autre, de la fiction historique à la réalité contemporaine.
Parcourir avec Éloi les entrailles de l’abbaye, la vie monacale entrecoupée de prières, de balades dans les jardins, de lectures pendant les repas au réfectoire tandis qu’il pleure la femme perdue. Lire Dominique Fortier nous raconter l’histoire de l’abbaye, mêlant ses réflexions intimes, analyses linguistiques, travail d’écriture, et digressions surprenantes qui donnent pourtant cette étoffe étrange qui sied à ce récit.
Longtemps j’ai cherché à comprendre pourquoi le Mont-Saint-Michel m’avait fait si forte impression. Bien sûr, il est majestueux, souverain, grandiose; mais pourquoi sa découverte était-elle liée dans mon esprit au besoin ou, plus exactement, à la possibilité d’écrire? (…) C’est que j’étais, pour la première fois, arrivée au pays des livres. Il existait. Je pouvais y vivre.
Voilà, nous y sommes. Le pays des livres.
Pénétrer la fabuleuse bibliothèque du Mont-Saint-Michel, observer le travail des moines copistes, écouter la plume qui gratte le vélin, imaginer la beauté des enluminures qui ornent les pages délicates des livres qu’Éloi va être amené à copier à son tour, lui le peintre qui ne sait pas lire.
J’ai levé les yeux, songeur. Ainsi, pour entendre les livres, il ne suffisait pas de savoir déchiffrer les lettres, il fallait aussi savoir lire ce qui n’était pas écrit.
Ce livre est habité par la magie du Mont et Dominique Fortier y exprime avec finesse, dans une langue d’une grande beauté, l’étrangeté de l’âme et du Moyen-Age.
Titre: Au péril de la mer
Auteur: Dominique Fortier
Editeur: Les Escales
Parution: 2 mai 2019
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