Grace

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Depuis bien longtemps je n’avais ressenti un ennui aussi profond au cours d’une lecture.

J’ai bien conscience du côté presque blasphématoire de mon propos:  comment être insensible à ce roman de Paul Lynch, encensé par la critique à sa sortie, et qui narre l’histoire de Grace, une jeune fille de quatorze ans que sa mère envoie gagner de quoi survivre à la terrible famine qui sévit en Irlande en cette année 1845? 

Du jour au lendemain, le cheveu coupé court à la lame émoussée du couteau, affublée de vêtements de garçon, Grace doit partir et parcourir les routes sombres, dangereuses et froides, avec cette horrible faim qui tiraille le ventre. 

C’est le chemin vers l’enfer qui commence dans la tourbe et sous le ciel bas, pour essayer de gagner de quoi survivre à cette apocalypse, où partout errent les ombres fantomatiques de ceux qui n’ont plus rien, corps décharnés en haillons.

Comment survivre à cet enfer, tout comme les millions d’habitants du pays, alors que récolte après récolte, le fléau divin continue de s’abattre sur les champs?

On suit jour après jour Grace, de petits boulots en rencontres qui pendant quatre ans vont jalonner son parcours, de situations dramatiques en toutes petites lueurs d’espoir.

Il paraît tellement dérisoire, l’espoir, quand un pays est dans la totale incapacité de nourrir son peuple, qu’un million de personnes mourront de faim et de misère, et qu’un autre million et demi quittera le pays pour essayer de survivre ailleurs.

Pas une âme en vue, pas un son, son esprit devient pur regard sondant l’opacité de la nuit. Elle tâche de démailler tout ce qui s’est produit, de réduire les malheurs du monde au silence et à l’obscurité.

C’est donc cela la liberté. Pouvoir disparaître de la surface de la terre sans que quiconque s’en aperçoive. La liberté, c’est ton âme dans le vide de la nuit. C’est ce noir aussi vaste que ce qui retient les étoiles et tout ce qu’elles dominent, et qui pourtant semble n’être rien, n’a ni fin ni commencement et pas non plus de centre. Les leurres du plein jour nous font croire que ce que voient nos yeux est bien la vérité, mais la seule chose vraie, c’est que nous sommes des somnambules. Nous cheminons à travers une nuit de ténèbres et de chaos, qui jamais ne nous livre sa vérité.

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Forcément, écrire un livre lumineux eût été une gageure. 

Décrire les paysages enchanteurs de l’Irlande verdoyante que nous connaissons eut été une imposture.

Les pages ont la couleur et le parfum nauséabond de la tourbe, et pèsent le poids du ciel de plomb dans lequel on n’imagine pas percer un rayon de soleil qui réchaufferait Grace à travers ses guenilles.

L’histoire de Grace est d’une tristesse inouïe, elle bascule dans un monde sans préavis où l’innocence n’est plus, où elle doit se construire en reniant sa féminité sous son déguisement de garçon, et où, pour tromper sa solitude elle a choisi (peut-être) de se faire accompagner par le fantôme de son petit frère qui se fait ange-gardien.

L’écriture de Paul Lynch est d’une réelle beauté dans l’obscurité de l’histoire, où il a donné vie à des personnages aux psychologies très denses et aux physiques très incarnés.

Pour autant, je n’ai pas réussi à ressentir de véritable émotion. J’ai regardé Grace passer le long de ces chemins qui me paraissaient très longs (et ils le sont, pour elle aussi) me sentant complètement étrangère à l’histoire. Touchée dans une certaine mesure, oui, mais pas émue. 

Roman lu dans le cadre du Grand Prix de l’Héroïne 2019.

Titre: Grace 

Auteur: Paul Lynch

Editeur: Albin Michel

Parution: 2019

6 réflexions sur “Grace

  1. L’extrait que tu cites est beau et poétique malgré sa noirceur. Je n’avais lu que de bonnes critiques, autant qu’il m’en souvienne, peut-être tenterai je de le lire quand même.
    LamartineOrzo sur IG

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