Il était un fleuve

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Attention, coup de coeur absolu!

Quand avez-vous éprouvé pour la dernière fois ce moment d’enchantement, soudain ressurgi des limbes de l’enfance, qu’on éprouve fasciné par l’histoire qu’on vous raconte? 

Ce moment incroyable où on se laisse porter, suspendu aux lèvres du narrateur, en attendant, fiévreux, la suite?

Ce sentiment est d’un autre ordre que le plaisir de lecture classique, aussi délicieux soit-il. 

Car il touche à quelque chose d’essentiel: notre capacité à ouvrir notre imaginaire au merveilleux et à redécouvrir notre innocence de lecteur.

Il était une fois… 

Nous sommes au 19ème siècle. Dès la première ligne, le récit nous invite en spectateur dans l’auberge Swan, sur les bords de la Tamise. Là, parmi les habitués, en ce soir de solstice d’hiver, nous attendons l’histoire que Joe Bliss va raconter. C’est la tradition depuis des siècles, au Swan. On n’y vient pas seulement pour boire, mais surtout pour y écouter des histoires. 

Mais ce soir-là, c’est un évènement exceptionnel qui va se jouer, pour nourrir d’autres histoires qu’on racontera longtemps, lorsqu’un colosse ensanglanté pénètre trempé et hagard dans l’auberge, portant dans ses bras le corps noyé d’une petite fille…

Qui est cet homme, défiguré par un coup qu’il a reçu et qui tombe inanimé aussitôt entré dans l’auberge? Et qui est cette petite fille, dont le coeur se remet à battre quelques heures après qu’on l’a crue morte? Rita Sunday, l’infirmière appelée au chevet des blessés, est bien en peine d’expliquer ce phénomène qui défie les lois de la science.

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S’agissait-il d’un miracle? C’était comme s’ils avaient rêvé d’un trésor, et qu’en se réveillant ils le trouvent sur leur oreiller. Comme s’ils avaient raconté un conte de fées avec une princesse et qu’à la fin ils découvrent la princesse assise dans un coin de la salle, qui les écoutait.

Pendant presque une heure, ils restèrent assis en silence et regardèrent la petite fille dormir en s’interrogeant. Pouvait-il y avoir dans le pays un endroit plus intéressant que le Swan, à Radcot, ce soir-là? Et puis ils pourraient dire: j’y étais.

L’homme est photographe à Oxford et s’appelle Henry Daunt. 

Mais qui est cette petite fille étrange, qui porte la couleur et le parfum de la vase? Bientôt, ils vont être plusieurs à revendiquer un lien avec elle. 

Les Vaughan accourent à l’auberge: évidemment, il s’agit d’Amelia, leur petite fille enlevée deux ans plus tôt.

Robin Armstrong, parti s’encanailler à Oxford loin de la ferme familiale arrive au même moment pour revendiquer sa paternité: il s’agit de sa petite Alice qu’il n’a pas vue depuis un an.

Lily White, la gouvernante du pasteur, est quant à elle persuadée qu’elle est sa petite soeur Ann disparue… il y a fort longtemps.

Ou bien est-elle la fille du Nocher, ce batelier fantôme qui fait traverser les âmes vers l’autre rive du fleuve?

Car c’est par le fleuve que tout arrive, d’amont en aval, on le traverse, ses eaux attirent autant qu’elles terrifient, elles irriguent de vie toutes les terres qu’elles traversent, elles les noient par leurs crues, elles les perdent dans leurs brumes – et souvent aussi, elles reprennent tout ce qu’elles ont donné.

Face au mystère de cette petite fille qui reste entier, Henry Daunt et Rita Sunday vont tenter d’élucider qui elle est vraiment tandis que les Vaughan craignent, non sans raison, qu’à tout moment on vienne leur reprendre cette petite créature qui leur a redonné goût à la vie.

Dans ce troisième roman, Diane Setterfield nous emmène, comme elle sait si bien le faire, à la lisière du fantastique et de l’onirique, en jouant subtilement des codes du conte dont elle façonne sa création littéraire tout en restant suffisamment rationnelle pour maîtriser la vraisemblance du récit. 

Elle a une alliée de taille: la formidable infirmière Rita Sunday qui scrute tout sous la loupe de ses connaissances scientifiques, n’hésitant pas à faire elle-même des expériences pour démonter l’invraisemblance des évènements. Henry Daunt, quant à lui, met son savoir-faire de la photographie sur plaque de verre avec sa chambre noire au service de la quête de vérité.

Il était un fleuve n’est pas seulement louable par la beauté poétique de son écriture (gratitude au passage pour le remarquable travail de traduction de Carine Chichereau) mais aussi par l’indéniable talent de conteuse de Diane Setterfield. 

Rien n’est laissé au hasard dans cette histoire qui fourmille de tant de détails, sans lesquels le récit serait moins palpitant. Il y a du Charles Dickens dans cette Angleterre victorienne qui sert de décor au récit. Les personnages, qu’ils soient de premier ordre ou secondaires, sont dessinés avec le même sens de la précision, incarnés aussi bien physiquement que psychologiquement. Dans ce monde où ce sont les hommes qui racontent leur temps à travers les histoires qu’ils transmettent, on sent le souffre d’une époque qui, par le biais de la théorie de Darwin, a peur de s’interroger sur ses origines, et peut-être sur son avenir. Mais loin d’être triste, pessimiste et sombre, c’est un récit auréolé d’une lueur unique et porté par un puissant souffle romanesque.

Ce troisième roman permet d’oublier la déception de L’homme au manteau noir, qui avait été pourtant tellement attendu après le succès du gothique Treizième conte. Mieux, il va permettre à de nouveaux lecteurs de découvrir une auteure trop rare – mais notre patience aura été récompensée.

Titre: Il était un fleuve

Auteur: Diane Setterfield

Editeur: Plon

Parution: mai 2019

5 réflexions sur “Il était un fleuve

  1. Je ne connaissais pas, mais ce roman a l’air intense et d’après ce que tu en dis, je comprends sans peine qu’il t’ait marquée. Le personnage de Rita Sunday a l’air dense et intéressant et je suis intriguée par la qualité de la plume…

    Aimé par 1 personne

      1. En fait, je l’ai acheté tout récemment parce qu’il m’avait échappé. Je ne l’ai pas encore lu. Par contre j’avais adoré Le treizième conte. Lu et relu!
        Tu as aimé L’homme au manteau noir?

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