Aurélien

IMG_3770.jpg

Pourquoi est-ce si intimidant de commencer la chronique d’un classique?

Est-ce par peur de ne pas être à la hauteur d’une oeuvre lue, analysée, décortiquée depuis sept décennies?

Ou n’est-ce pas tout simplement parce qu’on se sent petit et humble par rapport à son amplitude, sa portée – et aussi un peu trop ému par sa beauté?

J’aurais pu commencer l’exégèse par le célèbre incipit « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouvera franchement laide », vous dire que je trouve ça tellement culotté et si peu convenu de démarrer ainsi un roman. Qu’il donne un ton, une audace. Mais aussi une arrogance qui m’a fait partir sur une fausse voie : j’ai failli prendre en grippe ce pauvre Aurélien. Alors je ne m’attarde pas dessus.

Qui est-il, en dehors d’être un jeune rentier oisif et sans ambition qui remplit de petits riens le vide de ses journées chômées? Aurélien est un homme mélancolique, écorché par la guerre – elle lui a volé sa jeunesse, ses envies. Quatre ans de service militaire, quatre ans de guerre et qui est-il au bout du compte, maintenant? Il dilue sa vie dans les années folles de cet entre-deux guerres, comme il dilue son argent dans les soirées mondaines et les sorties arrosées au Lulli’s. Sans attaches familiales, sans femme à aimer autre que celles qui lui appartiennent pour une nuit ou deux, il erre. 

Bérénice, cette petite provinciale aux drôles d’yeux, mal fagotée, et ennuyeusement mariée à un pharmacien faible et fat va pourtant lui faire détourner son regard de la succession de ces journées sans but. 

Aurélien se découvre amoureux de Bérénice – est-ce à cause de la pression sociale et de ses injonctions à trouver une épouse? Peu importe. C’est d’elle dont il se découvre épris – et le jeu de l’amour débute entre un Aurélien un peu trop faible et une Bérénice si éprise d’absolu. L’émotion, la sensualité de la séduction et le sentiment amoureux sont retranscrits par Aragon avec une justesse et un trouble terriblement modernes, tant dans ses moments d’enchantement que dans ses affres.

d6916c9d047aae85853f57cefdb94aa3

@Brassai, Bois de Boulogne

Aurélien, déconcerté du voisinage de Bérénice, déconcerté au possible, timide comme un collégien, se disait: « C’est elle… » et ce « c’est-elle »-là signifiait mille choses incroyables, que c’était elle à laquelle il pensait tout à l’heure, contemplant le masque, que c’était aussi celle qu’il avait toujours attendue, sans le savoir, celle vers qui toutes ses pensées, dix ans auparavant, douze ans, se formaient, se dirigeaient, s’orientaient. Celle à qui pour la première fois de sa vie, il dirait Je vous aime. Celle que j’aime. Il se répétait ces mots qui signifiaient, enveloppaient, résumaient tout. Celle que j’aime. Il tremblait. Il se demandait ce qui lui arrivait

Mais hélas, comme dans tous les plus beaux classiques du genre, l’amour est d’autant plus fort qu’il est voué à ne pouvoir être heureux. D’ailleurs, peut-on vraiment croire en l’idée même de l’amour lorsqu’on observe tous les protagonistes auteur d’Aurélien et Bérénice, dont les couples valsent au rythme d’une légèreté de moeurs confondante?

Aurélien est aussi une chronique sociale et culturelle, souvent acide, animée par une multitude de personnages et d’intrigues secondaires. Bien qu’écrite dans les années 1940, l’histoire se déroule dans la débauche jouissive et insouciante des années 1920 où Paris, l’autre grand personnage de l’histoire, n’est que fête et démesure – à l’image d’une des grandes scènes du roman, le bal tout en or du Duc de Valmondois.

Aragon a écrit ni plus ni moins qu’un chef-d’oeuvre absolument intemporel – non seulement parce que les émotions du sentiment amoureux, telles qu’il les décrit, sont universelles et parlent à chacun, mais aussi parce que la beauté de la langue, à la fois littéraire et terriblement moderne appelle à s’arrêter sans arrêt sur la délicatesse et la poésie d’une plume vive et racée, qui n’hésite pourtant pas à se faire également tantôt humoristique, tantôt grinçante.

Mon petit, je n’ai pas de conseil à te donner… mais écoute-moi bien… les femmes avec lesquelles on couche, ce n’est pas grave… le chiendent, ce sont celles avec lesquelles on ne couche pas. 

Titre: Aurélien

Auteur: Aragon

Editeur: Gallimard

Parution: 1944

Une réflexion sur “Aurélien

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s