Ma première avait une réserve de tendresse insensée, ma seconde était la femme la plus courageuse qu’il ait jamais rencontrée, ma troisième avait une soif de liberté encore plus grande que la sienne, ma quatrième fut la dernière… Qui suis-je?…
Mrs Hemingway!
Parfois, j’ai le sentiment que les choses se répètent. Je pose l’aiguille au même endroit, sur le même disque, et je m’attends à un air différent
Bien vu, cher Ernest!
C’est effectivement à chaque fois la même ritournelle, avec Ernest Hemingway: la rencontre, l’amour fou, la vie qui devient une fête, et puis la lassitude, poussée par ses vieux démons que sont la déprime et la bouteille. Une femme chasse l’autre, ou plutôt, chaque femme laisse sa place à une autre: car les femmes qu’il aime ne restent pas des maîtresses, il les épouse, pour le meilleur et pour le pire.
Correspondant de guerre, écrivain, il a connu mille vie, couru les guerres, libéré le Ritz, frôlé cent fois la mort – il a aimé les femmes comme il a vécu, dans une frénésie constante, intensément, avidement. Un ogre.
Elles furent quatre, donc. Il y eut d’abord Hadley Richardson, généreuse et sacrifiée, qui lui servit sur un plateau la socialite Pauline Pfeiffer, alias Fife. Détrônée par l’impétueuse Martha Gellhorn, double féminin d’Hemingway, cette dernière laissa la place à celle qui l’accompagnera jusqu’à la fin de sa vie, Mary Welsh.
Hadley Richardson
C’est à ces quatre femmes que Naomi Wood consacre ce brillant roman, dont le fil rouge, bien sûr, est cet homme aussi charismatique que détestable, écrivain de génie et coureur de jupons invétéré.
Pauline Pfeiffer
Dans une construction habile, l’auteure américaine nous emmène à la rencontre de quatre femmes, quatre destins liés malgré eux, qui se croisent et se retrouvent, des amitiés qui naissent des souffrances et des trahisons.
Naomi Wood nous emporte dans un tourbillon politique et culturel – la France des années folles de l’entre-deux guerres avec en « special guest stars » les Fitzgerald et les richissimes Murphy, la libération de Paris en 1944, la guerre d’Espagne – et nous pose, le temps d’un mariage qui dépérit, à Key West, à Cuba ou dans l’Idaho.
Martha Gellhorn
Fife s’effondre au pied du bureau d’Ernest. Elle ne peut voir ça. Combien de femmes encore, assises devant leur machine à écrire quelque part dans le Midwest, occupées à lire un livre de Hemingway sur leur belle pelouse anglaise, puis missionnées en Chine, ignorent qu’un jour elles seront arrachées à l’ombre pour devenir la prochaine Mrs Hemingway
La construction savante du roman nous amène au coeur des histoires de ces femmes, nous les rendant toutes différemment attachantes – détestables au moment où elles glissent dans la vie d’Hemingway pour écarter l’officielle, attachantes lorsque l’histoire touche à sa fin. Hemingway vu par ses femmes laisse la place à l’homme derrière l’écrivain Nobel de littérature, un monstre avec des failles immenses destinées à l’engloutir, un colosse aux pieds d’argile.
Mary Welsh
Mrs Hemingway vous emporte, et vous donnera probablement envie de découvrir un peu plus ces Mrs Hemingway – avec par exemple les romans de Paula McLain consacrés à Hadley Richardson (Madame Hemingway) et à Martha Gellhorn (La troisième Hemingway).
Titre: Mrs Hemingway
Auteur: Naomi Wood
Editeur: La Table Ronde
Parution: 2017 (2019 Folio)
Tiens j’ai lu ce livre, je me souviens l’avoir apprécié, mais je m’en souviens très peu. Bizarre 🙂 En tous cas Hemingway était vraiment un personnage détestable avec les femmes ! Très belle chronique !
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