Le tableau a attrapé mon regard.
Ombres et lumière, des jeux de blancs qui chatoient, le vert presque fluorescent de la porte et la tomette en terre cuite au sol.
Une femme en robe de coton blanc, ceinturée d’or, les mains sur les hanches, les cheveux attachés dans la nuque.
Il y a une liberté, une modernité lascive dans sa pose, une confiance.
On l’attendrait voir porter à sa bouche une cigarette et continuer à vous regarder droit dans les yeux, sans rien dire.
Elle s’appelle Marie Krøyer, c’est la petite plaque en bronze clouée sur l’or du cadre qui le dit – Qui est-elle?
J’ai soudain tout voulu savoir sur elle, comprendre ce tableau, les autres tableaux sur lesquels elle est la figure centrale du travail du peintre, Peder Severin Krøyer (alias Søren Krøyer).
Nous sommes en 1890. Ils viennent de se marier et sont en lune de miel en Italie. Ici Marie pose dans le patio de leur hôtel à Amalfi.
Marie est peintre, comme Søren. Ils se sont rencontrés à Paris à peine un an avant.
Pleine d’espoir, elle espère apprendre à ses côtés, les couleurs, la lumière. Marie a beaucoup de talent, et elle a décidé que peindre serait sa vie.
Bientôt, ils vont s’installer à Skagen, là où les artistes danois viennent chercher la lumière.
Qui les connaît aujourd’hui, ces peintres danois, influencés par les maîtres impressionnistes français?
Et qui était Marie, surtout?
J’ai senti un picotement qui me parcourait dans la grande salle du Statens Museum for Kunst de Copenhague, en déambulant à travers l’exposition sur l’Age d’or de la peinture danoise. Vous connaissez cette impression qui vous évoque une sensation à la fois intime et indéfinissable? Je passais d’une peinture à l’autre, et chacune, ou presque, me parlait. Quelque chose était en train de prendre vie.
A peine avais-je franchi la porte de la Hirschprungske Samling aux parfums d’encaustique et aux parquets grinçants, que je faisais connaissance avec les peintres de Skagen – sans savoir encore que Skagen existait ni situer le lieu sur une carte. Mais j’y étais, pourtant.
Michael et Anna Ancher, Viggo Johansen, Christian Krohg et surtout, surtout, PS Krøyer: la lumière de ses tableaux accroche le regard dès lors qu’on le pose dessus. Sur plusieurs des toiles figurait cette femme jeune, qui ne peut qu’avoir été follement aimée pour avoir été peinte de la sorte: Marie Krøyer.
Quelle était leur histoire à deux, quelle était son histoire à elle? D’où venait-elle, qu’avait-elle fait de cette vie? Etait-elle une simple muse, une fille, une mère, une écrivaine, peut-être, qui aurait raconté cette vie au centre de la vie du peintre?
D’abord, il me fallait découvrir cette peinture danoise, comprendre ces peintres, apprendre Skagen. J’avais hésité, au Statens, à acheter un livre sur l’Age d’or danois. Il était urgent de trouver un autre livre qui m’aiderait. Dans In another Light, Danish Painting in the nineteenth century de Patricia G. Bergman, j’ai pu retrouver la plupart des tableaux admirés, et surtout, la trace de mes peintres de Skagen. J’étais sur la bonne voie.
Ce que je ne savais pas encore, c’est que sur la couverture, illustrée par le tableau Summer Day (1888) de Harald Slott-Møller, Marie Krøyer est déjà là, comme un signe, à gauche de son amie Agnes qui épousera l’artiste. A travers plusieurs pages qui lui sont consacrées, je découvre les grandes lignes de la vie de Marie… Et quelle vie qui à la fois me fascine et me frustre – car bien évidemment, je devine sous la linéarité de cette biographie, des aspérités troublantes.
Frénétiquement, je me mets à la recherche d’une biographie. Mis à part «The Art of Marie Krøyer’s life » de Tonni Arnold paru en anglais en 2002, et aujourd’hui introuvable, toute la littérature la concernant est en danois.
Finalement, la chance me sourit: dans mes recherches, j’apprends qu’un roman doit sortir quelques jours plus tard en Allemagne sous le titre Die Frauen von Skagen (Les femmes de Skagen) d’une romancière germano-suédoise Stina Lund. Si je devine une trame très romanesque, voire même une romance, ce livre est comme un signe!
Mes recherches sur internet se résument toutes aux mêmes informations qui tiennent sur deux pages. Stina Lund a été confrontée aux mêmes écueils, et pour cette raison la majeure partie de son roman est un travail de fiction, laissant la part belle à son imagination sur la base de faits avérés (certains choix m’ont pourtant laissée dubitatives).
Marie n’était pas seulement l’épouse de Krøyer, qu’elle a épousé à 22 ans alors qu’il en avait 38. Marie était aussi peintre. Depuis son enfance, elle rêvait de consacrer sa vie à la peinture, où elle excellait. Pourtant, dès qu’elle sera mariée à Krøyer, elle va peu à peu abandonner. Pour quelles raisons?
A travers deux époques, et quatre femmes, Stina Lund va explorer le rêve d’une émancipation à travers la peinture.
D’un côté, de nos jours à Francfort, une jeune allemande, Vibeke, qui rêve d’une carrière de peintre mais que son père veut contraindre à reprendre l’entreprise familiale. La mère de Vibeke, Malu, a elle aussi dû freiner ses aspirations artistiques mais va pourtant l’aider à essayer aller au bout des siennes.
De l’autre, à Copenhague au tournant des années 1880, Marie Triepcke et sa demoiselle de compagnie Asta. Marie n’a d’autre but que peindre, mais sa famille ne lui en autorise l’exercice qu’à des fins de loisir. Marie va être amenée à faire des choix d’émancipation malvenus pour son époque, tandis qu’Asta doit vivre sa vie dans l’ombre de Marie, quitte à lui voler ses rêves…
Mon scepticisme s’est vite envolé, je me suis laissée prendre dans ces histoires croisées, et par la narration sensible de Stina Lund qui réussit à ne pas (trop) faire tomber son histoire dans la romance. Elle effleure les histoires d’amour, sans en faire l’axe de ses histoires parallèles.
La peinture et les choix (parfois douloureux) que doivent faire ces femmes restent au coeur de son roman, et elle nous fait découvrir la colonie et l’école de Skagen – et bien sûr, Marie Triepcke Krøyer. Il s’agit d’ici d’une Marie idéalisée, probablement bien plus romanesque que la vraie. Les faits se recoupent avec la trame de sa biographie, mais évidemment, écrire sur des faits dont il ne reste peu ou pas de trace est un exercice difficile.
La vraie vie de Marie est pour moi d’une infinie tristesse, même si sa richesse est manifeste… et je vais faire au mieux pour vous la raconter, bientôt.
Côté cinéma, Bille August (le réalisateur de Pelle le Conquérant) a consacré en 2012 un film à Marie Krøyer (Marie Krøyer). Si le film se permet quelques arrangements biographiques, il y restitue avec une grande acuité la tristesse qui émerge des rêves avortés de Marie.
Titres:
In another light : danish painting in the nineteenth century
Patricia G. Bergman
Thames & Hudson
2007, réédition 2019
Die Frauen von Skagen
Stina Lund
Rowohlt Taschenbuch Verlag
Novembre 2019
Oui, mille fois oui, écrivez sur Marie Kroyer , j’ai hâte d’en savoir plus sur cette femme qui illustre ce tableau imprimé » Marie lit » que je regarde depuis 20 ans accroché au mur de « mes salons », ayant déménager plusieurs fois. À bientôt de vous lire!
Très cordialement
Nathalie Guiot
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Bonjour Nathalie, merci beaucoup pour cet encouragement! Je pensais pouvoir raconter son histoire assez rapidement, mais c’est un travail un peu plus fastidieux que prévu – fastidieux mais passionnant! A très vite j’espère!
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