Tous les matins, elle se lève face à la mer.
C’est son seul luxe, à Vanda.
Dans ce petit cabanon de plage marseillais, elle a construit un nid pour elle et son petit Bulot. En fait de nid, c’est plutôt une tanière dans laquelle elle se retranche avec Noé.
Vanda est une mère louve, pleine d’amour et de colère, elle aime comme elle crie, elle ne vit pas elle survit. Dépose Noé à l’école, file à l’hôpital psychiatrique où elle récure toute la sainte journée les chambres des fous, et le soir, elle arrive bien trop souvent en retard à l’école.
Vanda vit en marge de tout, sa vie n’est que précarité – comme son contrat de travail.
Les autres l’approchent sans dépasser le périmètre de sécurité qu’elle instaure. Les soirs d’apéro, au cabanon, personne ne s’aventure à l’intérieur. Au travail, elle ne s’épanche pas sur sa vie. En amour, il n’y a pas de place pour un homme.
Vanda aime la nuit, l’alcool, les coups d’un soir.
C’est une de ces nuits de vertige qu’elle tombe nez à nez avec Simon.
Simon qu’elle n’a pas revu depuis sept ans.
Simon parti à Paris, où il s’est affranchi de Marseille, jusqu’à effacer son accent.
Descendu pour quelques jours, prêt à repartir. Sauf que Simon est le père de Noé. Et Simon décide de rester.
Pourquoi Vanda a-t-elle ce don pour prendre les mauvaises décisions qui à chaque fois mettent en danger son équilibre précaire?
On sent, dans une tension qui monte au fil des pages, l’imminence du point de bascule. De non retour.
Peut-il en être autrement pour Vanda, tellement entière, sauvage, et prête à défendre son petit comme une tigresse?
Lorsque tout vacille, Vanda nous laisse exsangues sur le bord de sa plage, débordés par la puissance de son histoire, envahis de colère, de tristesse.
Marseille, cabanon des Auffes (credit photo @ sunwhere.fr)
Marion Brunet nous livre un roman d’une force inouïe servi par une écriture qui percute, à la fois sensible, farouche, crue, provocante, tendue.
Cette écriture, ce rythme, c’est Vanda! Une femme écorchée, borderline, qui dévore son enfant d’un amour animal – quelle force cet amour entre les deux, leurs corps qui se cherchent, se respirent. Vanda qui renifle son petit, se retenant de le mordre. Noé qui trace avec son doigt les dessins tatoués sur le corps de sa mère, comme une carte du tendre de l’amour maternel.
Il saisit son poignet d’une main et remonte de l’autre le long des tatouages, ce qui fait rire sa mère. Un rire entendu, de connivence. Simon observe ce qui ressemble à un rituel. Les yeux fermés, le gosse reproduit les dessins du bout de son index et les nomme au jugé:
– La rose rouge, le crocodile, le bracelet en vagues.
– Pas si vite
Il redescend, palpe le coude, caresse l’intérieur du bras.
– La gueule du crocodile est là.
Vanda a du mal à garder son sérieux, le doigt de l’enfant la chatouille.
Simon est mal à l’aise. Ce jeu-là le dérange, trop physique, presque amoureux
Vanda revêt une dimension de drame social, qui n’est pas seulement celui d’une Vanda en marge, qui subit de plein fouet le drame de la condition sociale, à laquelle elle n’a pas pu, ou voulu, échapper. C’est aussi le drame social de la France d’en-bas. Et Marseille, ville du sud, c’est doublement la France d’en-bas.
J’aime pas cette ville, elle est dégueulasse et tout le monde s’en fout de tout. Rien ne fonctionne, y a pas de pudeur, pas de boulot, y a que des poubelles à ciel ouvert et des mecs qui parlent trop fort et te matent le cul comme dans les années 50
On ne sort pas indemne d’une telle lecture, mais on en demande encore, des pages à la beauté comme celles-là, qui coupent le souffle. Marion Brunet a reçu en 2018 le Grand Prix de littérature policière pour L’été circulaire. Elle est par ailleurs auteur de romans jeunesse. Un talent à découvrir d’urgence.
Titre: Vanda
Auteur: Marion Brunet
Editeur: Albin Michel
Sortie: 26 Février 2020