Lydia Cassatt lisant le journal du matin

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Voici un petit roman acheté il y a deux ans au musée Jacquemart André, lors de l’exposition sur la peintre impressionniste américaine Mary Cassatt, tombée dans l’oubli en France où elle a pourtant vécu et travaillé à son oeuvre la plus grande partie de sa vie.

Formée en partie à Paris, elle s’y installe avec ses parents et sa soeur dans les années 1870 et se rapproche particulièrement de Degas, Berthe Morisot et Pissaro. 

A une époque où les femmes artistes n’ont pas accès aux ateliers fréquentés par les hommes peintres, ou aux lieux de vie tels que les cafés ou les coulisses de l’opéra utilisés dans leur travail par ses confrères, sa famille lui sert souvent de modèle: ses parents, ses neveux et nièces, ses frères, et surtout sa soeur aînée Lydia.

C’est le récit intime et délicat de Lydia, affaiblie par la maladie qui bientôt l’emportera, qui nous donne un éclairage particulier sur le travail de sa cadette et sur la force de leur complicité, avec pour fil rouge cinq tableaux de Mary, auxquels elle a servi de modèle. 

A travers les séances de pose, les rêveries et les souvenirs se succèdent, les fantômes habitent ses pensées – celui du petit frère mort trop tôt, ou celui de Thomas, le fiancé de Lydia tué lors de la guerre de Sécession.

Dans la lumière de l’après-midi, je vois Thomas, assis calmement au pied de mon lit, le regard fixé sur moi. Abasourdie, je lui demande: Tu n’es pas mort, alors? et il sourit. Tu me vois devant toi, non? rétorque-t-il. Oui, je te vois. Il se met à rire et hausse les épaules, banal et beau comme la journée. Se rapprochant de moi, il demande: C’est quoi la mort, dans ce cas?

De toile en toile, Lydia décline, mais sa présence est de plus en plus forte – maillon essentiel de cette famille, que Mary Cassatt, dans un déni farouche, essaie de retenir dans ses toiles.

Et puis, indissociable de Mary Cassatt, Edgar Degas ponctue ces moments de sa présence assidue, parfois troublante, où on le sent retenir le cynisme et le sarcasme qui ont fait sa réputation. Harriet Scott Chessman esquisse, au travers de gestes et de regards, la possibilité d’une relation amoureuse entre les deux artistes – un parti pris intéressant pour cette amitié énigmatique, qu’aucun indice n’est pourtant venu confirmer (Mary Cassatt a détruit toute sa correspondance avec Degas, qui lui s’est abstenu d’écrire sur elle).

Lydia Cassatt promène un regard souvent tendre sur les toiles de sa soeur, mais qui se fait de plus en plus inquiet de l’image que renvoient d’elle ces toiles, alors qu’elle sait ne plus pouvoir lutter pour la vie.

Le roman met en opposition le déclin de Lydia et l’impétuosité d’une Mary indépendante et en pleine possession de ses moyens, qui a choisi de vivre de son art – Mary Cassatt fera le choix de ne pas se marier et ne pas avoir d’enfants pour donner libre court à la peinture, pourtant la maternité sera un élément central de son oeuvre.

Je me rends compte à présent que la peinture de May engendre quelque chose qui ressemble à un souvenir. Que ses spectateurs m’aient connue ou pas, elle aura laissé un souvenir de moi à la face du monde. J’y vois en outre ceci: elle m’y représente comme une femme qui a vu ses souhaits accomplis. La journée est lumineuse. La robe de cette femme est comme une prairie, tandis qu’elle se penche sur sa création, sur elle-même, ne désirant que ce qu’elle a déjà. J’aspire à lui ressembler, à éprouver ce genre de plénitude.

Paru en 2002, ce petit livre est illustré des cinq tableaux évoqués, en couleur:  Femme lisant, La tasse de thé, Lydia faisant du crochet dans le jardin, Femme et enfant en voiture, Lydia brodant. Cette excellente idée donne un bel appui au récit de Lydia.

La construction du roman, et le biais utilisé pour nous emmener dans l’oeuvre de Mary Cassatt sont intéressants dans le traitement de la biographie. La lenteur du récit m’a toutefois un peu gênée, ou est-ce tout simplement la vie de ces femmes, telle qu’abordée ici, qui ne m’a pas enthousiasmée comme je l’aurais aimé? Il faut dire que la vie privilégiée des soeurs Cassatt, entretenue par une belle fortune familiale qui a permis à la famille Cassatt de voyager pendant de longues années à travers l’Europe et offrant une éducation cosmopolite à ses enfants, manque d’un peu de piquant – en fait, s’il n’y avait pas la peinture de Mary, elle paraîtrait même très ennuyeuse.

Titre: Lydia Cassatt lisant le journal du matin

Auteur: Harriet Scott Chessman

Editeur: La Table Ronde

Parution: 2002

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