
Dans les années 80, alors que j’étais évidemment encore une touuuute petite fille, j’adorais les feuilletons français (maintenant on appelle ça des s.é.r.i.e.s) dont le charme aux couleurs passées me remplit de nostalgie. Il y avait notamment l’Esprit de famille, et ces quatre soeurs que je trouvais formidables. En tapant le nom du feuilleton dans ma barre de recherche, je tombe sur elles, les trois aînées à mobylette sur une route de campagne, tandis que la benjamine à vélo s’essouffle derrière elles en pestant (on la surnommait la poison).
Voilà un peu comme je les imagine, les soeurs Malavieri, des soeurs unies, des jeunes femmes affirmées, héroïnes d’une saga familiale au coeur d’une société en route pour les grands bouleversements des années à venir.
Elles sont trois, Sabine l’aînée, Hélène la cadette et Mariette la benjamine. Contrairement aux soeurs Moreau, elle ne vivent pas dans l’aisance d’une famille bourgeoise de la campagne pontoisienne, mais au sein d’une famille catholique et modeste dans un appartement exigu d’Aix-en-Provence.
Sabine rêve de partir à Paris pour devenir comédienne, et envie Hélène qui, par le biais d’un accord familial étrange, passe ses vacances chez son oncle et sa tante à Neuilly-sur-Seine.
En ce début des années 1970, le vent de l’émancipation souffle, les femmes commencent à prendre la pilule (en cachette) et les soeurs aînées développent leur conscience sociale et politique, tandis que Mariette, depuis la sphère de l’enfance, observe ses soeurs, prête à faire éclore le moment venu la jeune fille libre qu’elle aspire à être. Pour Agnès aussi, leur mère, il est temps de penser à son propre épanouissement, après ses années de jeunesse sacrifiée aux devoirs maritaux et à la maternité.
Agnès et Bruno, rassurés par l’accession à la présidence de Giscard sont loin d’imaginer le bouleversement du 10 mai 1981 vers lesquels ces années les conduisent.
Dans cette chronique sociétale qui couvre une dizaine d’années, Véronique Olmi écrit le féminin avec une acuité vibrante, celle qui témoigne de sa propre conviction féminine dans les chemins qu’empruntent ses héroïnes, des femmes intelligentes, indépendantes, militantes, curieuses, sensuelles. Des femmes au milieu desquelles leur père et mari en perdition, est livré dans un portrait touchant.
C’est ce rapport à la féminité, et à la complicité qui unit les femmes, qui est particulièrement réussi dans ce roman, dans lequel l’écriture affirmée et élégante de Véronique Olmi se déploie, convaincante.
Mais dans le catalogue des évènements et des repères socio-politico-culturels qui jalonnent la frise chronologique du roman – la mort de Pompidou, l’élection de Giscard d’Estaing, la loi Veil, Dolto sur les ondes de France Inter, le naufrage de l’Amoco Cadiz, le premier bébé éprouvette, l’accession de JP II au pontificat, les manifestations des 22 du Larzac, l’enterrement de Sartre, l’attentat de la rue de Copernic, l’élection de François Mitterrand – on ressentent une lassitude dans ces longueurs et dans la succession de ces informations qui se tissent à la vie des héroïnes.
Par ailleurs, la relation qui lie Hélène à son oncle David aurait mérité d’être plus explicite. Alors qu’elle était enfant, ce dernier a imposé sa volonté d’adopter la fillette – les parents d’Hélène ne s’y sont pas opposés et elle navigue donc entre les deux familles. Au-delà de cette démarche surprenante, Hélène a sur cet oncle un regard aimant, subjugué, un regard de femme, et leur relation évoque plus souvent celle d’un couple que celle d’un père avec sa fille. Il plane une ambiguïté que je n’ai pas réussi à expliquer.
Malgré ces réserves, Les évasions particulières est une belle fresque avec un souffle romanesque d’une grande maîtrise, et on aurait aimé accompagner ces héroïnes au-delà de ce fameux 10 mai 1981.
Titre: Les évasions particulières
Auteur: Véronique Olmi
Editeur: Albin Michel
Parution: Août 2020
Il ne me tente vraiment pas ….
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