
O’Farrellement Vôtre
Depuis son premier roman sorti en 2000, « Quand tu es parti », je suis inconditionnellement attachée à l’écrivaine irlandaise Maggie O’Farrell.
Tous ses romans ne sont pas égaux, mais elle réussit à chaque fois à se renouveler, tout en restant attachée aux mêmes thèmes, qu’elle explore inlassablement, comme pour comprendre, réparer quelque chose : des histoires familiales qui se jouent sur plusieurs générations, des secrets qui brisent des destinées, des histoires d’amour qui basculent dans le drame, des disparitions inexpliquées, voilà l’univers de Maggie O’Farrell, qui oscille incessamment entre présent et passé, toujours servi par des personnages complexes et sensibles, souvent dans la fuite. Grâce à une psychologie aiguë, elle pénètre les failles des histoires.
Lorsque j’ai lu, il y a quelques semaines, « La salle de bal » d’Anna Hope, j’ai repensé à ce roman de 2008: « L’étrange disparition d’Esme Lennox ». L’envie m’est venue de le relire, de retrouver ces impressions qui m’avaient tant marquée.
Esme rejoint la longue liste de ces femmes internées, à tort, parce qu’elles étaient différentes.
Différente, Esme l’a toujours été. Une petite fille libre, curieuse, sensible. A la suite d’un drame, la famille quitte l’Inde où Esme et sa soeur sont nées et ont grandi. De retour à Edimbourg, Esme doit s’acclimater: au froid écossais, et surtout aux règles strictes qu’imposent la bienséance et l’éducation sans concession de sa grand-mère et de ses parents pour faire d’elle et sa soeur des jeunes filles épousables. Mais le comportement d’Esme dérange, trop sensible, trop inadaptée, trop désinhibée… elle est internée à l’asile de Cauldstone, alors qu’elle n’a que seize ans.
Soixante ans plus tard, alors que l’asile doit définitivement fermer ses portes, Iris reçoit un appel: elle est la seule parente à pouvoir prendre en charge Euphemia Lennox. Qui est cette grand-tante dont elle n’a jamais entendu parler? Elle ne connaît pourtant aucun frère et soeur à sa grand-mère Kathleen… Pourquoi a-t-elle été effacée de la mémoire familiale? Est-elle vraiment folle?
Iris combat ses propres démons, son refus de laisser un homme entrer dans sa vie – sa relation fusionnelle avec son frère Alex semble prendre toute la place à laquelle un autre pourrait prétendre.
Entre passé et présent, Maggie O’Farrell démêle les fils de cette histoire familiale dysfonctionnelle et mesure les répercussions du drame originel sur trois générations, tandis qu’Iris et Esme font connaissance.
Elle sait donner une acuité émouvante aux scènes et une profondeur vibrante aux personnages. Au coeur de son récit se croisent des êtres brisés et des femmes qui aspirent à être libres.
On ressent, toujours présente, cette sensibilité à fleur de peau – dans le rythme du récit polyphonique, raconté au présent. Mais aussi dans la beauté des personnages.
Si jusqu’à présent « Assez de bleu dans le ciel » est à mon goût le roman le plus fort et le plus abouti de Maggie O’Farrell, Esme Lennox reste en bonne deuxième position dans mes favoris. Mais j’avoue avoir très envie de tous les relire, pour voir si, vingt ans plus tard pour le premier, ils me touchent toujours autant ou si c’est un effet de mon imagination.
Maggie O’Farrell a publié cette année un roman historique, « Hamnet », qui a reçu le Women’s Prize for fiction. Roman purement historique cette fois-ci, l’écrivaine situe son récit au 16ème siècle, un récit consacré à Hamnet, le fils de Shakespeare et surtout à sa mère, Agnes, grande oubliée de l’Histoire. Un portrait de femme très prometteur, qu’il me tarde de pouvoir découvrir.
Titre: L’étrange disparition d’Esme Lennox (The vanishing act of Esme Lennox)
Auteur: Maggie O’Farrell
Editeur: Belfond
Parution: 2008
Une réflexion sur “L’étrange disparition d’Esme Lennox”