
Est-il toujours bon de convoquer les vieux souvenirs?
2015: plus de quarante ans après avoir quitté l’université, Lincoln, Teddy et Mickey se retrouvent pour un week-end à Martha’s Vineyard, dans la maison que le premier des trois compères sexagénaires a l’intention de mettre en vente.
Aussi différents soient-ils les uns des autres, les trois hommes se sont liés à l’université de Minerva, sur la côte Est. Au sein de la résidence de la sororité Theta, où ils officiaient aux cuisines et au service, ils se sont rapprochés, à s’en surnommer les Trois mousquetaires – liés à vie par le ciment de ces années de jeunesse, mais aussi par cette épreuve vécue par tous les jeunes hommes américains de leur génération : le tirage au sort de la conscription de 1969, qui désignerait ceux d’entre eux qui partiraient combattre au Vietnam.
Avant que l’un d’eux, tiré au sort ce fameux jour de 1969, parte servir sa patrie une fois ses études finies, les Trois Mousquetaires passent ensemble ce week-end de 1971 à Martha’s Vineyard, qui clôturera leurs années à Minerva.
Mais ils sont en fait quatre, ce fameux week-end: les garçons ont emmené avec eux leur quatrième mousquetaire, la belle Jacy, une des résidentes de Theta dont ils sont tous les trois amoureux et qui semble prendre un malin plaisir à ne pas les départager. Ce qui n’arrivera jamais vraiment: à l’issue de ce week-end, Jacy disparaît, on ne la retrouvera jamais.
Son souvenir hante inévitablement les trois amis lorsqu’ils se retrouvent en 2015.
Ont-ils changé? Sont-ils restés fidèles à leurs idéaux, à leurs promesses?
Cachent-ils une autre part d’eux-mêmes, inconnue aux autres, derrière la façade de leurs surnoms d’antan?
Pourquoi Teddy a-t-il toujours été ce grand angoissé, qui vit ce week-end sous la menace d’une nouvelle crise de panique à peine débarqué sur l’île?
Et Mickey, abrite-t-il toujours derrière sa carcasse de gentil colosse rocker cet être bagarreur, dont ils n’ont jamais compris les coups de sang capables de laisser quelqu’un au sol?
Les souvenirs refont surface, et l’envie de remonter la trace de Jacy prend Lincoln – avec le risque qu’induit de découvrir des vérités qui pourraient détruire des décennies d’amitié.
Quel plaisir de découvrir petit à petit l’art de Richard Russo, dont j’apprécie l’élégance, l’humour, la finesse, et sa façon de scruter la société américaine, sa politique, sa middle class. Ses héros ont son âge? Peu m’importe, au contraire. Il sait se moquer, mais dire aussi sans mièvrerie les faiblesses, les regrets, la nostalgie.
Bien évidemment, il est question dans ce roman de Donald Trump, qui à l’époque où nos mousquetaires se retrouvent est en pleine bataille électorale – alors que leur précédente rencontre avait marqué un autre tournant pour leur pays, celui de l’élection d’Obama.
Richard Russo introduit également une dimension polar, habilement appuyée par la construction narrative (je n’en dis pas plus) et des personnages totalement incarnés.
Tout est parfaitement orchestré dans ce roman, comme savent le faire ces talentueux « story tellers » américains. La seule chose que j’aurais pu en dire, si j’avais voulu faire court: j’ai adoré.
Traduction: Jean Esch
Titre: Retour à Martha’s Vineyard (Chances are…)
Auteur: Richard Russo
Editeur: La Table Ronde
Parution: Août 2020
Russo est génial et bravo pour la chronique !
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Merci beaucoup! Je n’avais lu que son recueil de nouvelles, Trajectoires.
Quel est le roman que tu me recommanderais pour poursuivre?
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Le déclin de l’empire Whiting est excellent 👌
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