De sang et d’encre

De sang et d'encre Rachel Kadish Cherche Midi

Rachel Kadish. Son nom évoque une prière juive, comme un préambule liturgique à ce roman remarquable qui questionne la place de la femme au sein de sa communauté religieuse, mais aussi par-delà le vaste monde de la connaissance.

A Londres, en novembre 2000, l’éminente professeure d’université Helen Watt, sur le point de partir à la retraite, est contactée par l’un de ses anciens élèves. D’étranges lettres viennent d’être découvertes dans sa maison de Richmond, au hasard de travaux de rénovation. Rédigés en portugais, en hébreu, en latin, ils sont aussi vieux que la demeure du 17ème siècle qui les abritait.

Aidée  d’Aaron Levy, un doctorant américain un peu arrogant et totalement enlisé dans une thèse qu’il consacre à Shakespeare et aux juifs qui auraient inspiré son oeuvre, Helen Watt tente de percer à jour ces documents inestimables. La cache dans laquelle ils ont été retrouvé est-elle une genizah, où étaient déposés dans les synagogues des écrits portant le nom de Dieu? Mais c’est bientôt l’identité du scribe, et sa troublante signature, qui les interroge. S’attelant à l’étude des documents, ils remontent le temps à travers une étrange correspondance.

Dans une alternance du récit entre présent et passé, on découvre en 1657 Ester Velasquez, une jeune juive séfarade qui vient d’arriver à Londres avec son frère et le rabbin HaCoen Mendes, qui les a pris en charge à la mort de leurs parents à Amsterdam. Aveugle, rescapé de l’Incquisition espagnole, le vieux rabbin portugais espère apporter sa sagesse à la communauté juive londonienne qui s’éloigne des traditions, et pire, se rapproche de la mouvance sabbatéenne qui guette l’arrivée d’un nouveau Messie. Ester, qui est plus cultivée que toute autre jeune fille de son âge, devient la plume du rabbin, rédigeant son abondante correspondance avec les grands de la communauté. Au contact du rabbin et de ses livres, la curiosité d’Ester s’aiguise, l’éveille aux Idées comme celles de l’hérétique Spinoza chassé de la communauté. 

Mais elle est une femme, et n’a pas la liberté d’agir selon ses désirs. Tout au mieux attend-t-on d’elle qu’elle se marie, la seule voie possible pour une femme. Sa soif de connaissance est trop forte. Qu’est-ce qui porte l’univers? Quel rôle joue Dieu? Ester va prendre la décision qui s’impose pour lui permettre de répondre aux questions métaphysiques qui l’animent…

 La philosophie n’est pas la vie. Le sang est plus fort que l’encre. Et chaque courte respiration qu’elle prend lui fait comprendre lequel des deux la tient en son pouvoir.

Coup de coeur absolu pour cette foisonnante fresque historique, nourrie de religion et de philosophie – deux points développés de manière exigeante et qui donnent au roman une dimension didactique passionnante. 

A travers une reconstitution extraordinaire de Londres au 17ème siècle, peste incluse, Rachel Kadish nous fait entrer dans la communauté juive rescapée de l’Inquisition à travers le regard et les mots d’Ester, une jeune femme qui cherche sa place dans une société où le savoir ne peut être que masculin.

A travers ses autres personnages, dans cette même cité londonienne au 20ème siècle, Rachel Kadish continue d’interroger l’Histoire et les répercutions des persécutions subies par la communauté juive, nous attachant à Helen et Aaron – qui se battront envers et contre tout pour découvrir le secret caché derrière cette précieuse correspondance.

Une interview de l’auteure, à la fin du roman, nous offre un éclairage personnel sur la genèse de son roman – une brillante idée pour rester un peu plus longtemps immergé dans ce roman remarquable.

Si le thème de l’histoire juive vous intéresse, je vous recommande deux livres : Le coeur converti de Stefan Hertmans ainsi (Gallimard) que Le livre d’Hanna de Geraldine Brooks (Belfond).

Traduction Claude et Jean Demanuelli

Titre: De sang et d’encre (The Weight of ink)

Auteur: Rachel Kadish

Editeur: Editions du Cherche-Midi

Parution: septembre 2020

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