Eureka Street

Eureka Street Robert McLiam Wilson 10/18

Quand on a grandi dans les années 1980, on reste marqué par les images dévastatrices du conflit nord-irlandais qui faisaient régulièrement la une des journaux télévisés. Côté bande son, c’était le « Sunday Bloody Sunday » de U2 qui en incarnait l’horreur glaçante  – mais c’est leur chanson « Where the streets have no name » qui reste la plus évocatrice de Belfast.

Des noms, pourtant, les rues de Belfast en ont. 

Robert McLiam Wilson, dans ce roman de 1996 sur sa ville natale, s’attache à les mettre en lumière, jusque dans le titre.

Eureka Street, c’est l’histoire de deux copains losers sur fond de conflit nord-irlandais. Et c’est ni plus ni moins qu’un chef-d’oeuvre. 

Jake et Chuckie sont amis, l’un est catholique l’autre protestant, mais ils ont en commun d’être de formidables glandeurs dont les divertissements les plus excitants sont leurs soirées de beuverie au pub du coin de la rue. 

Malgré ses gros bras, entretenus par des années de bagarre, Jake est un dur au coeur tendre: depuis que Sarah l’a quitté, il cumule les petits boulots peu gratifiants et traîne une déprime qu’il soigne chaque jour en tombant amoureux de la mauvaise fille.

Chuckie, qui à trente ans vit encore chez sa mère et n’a jamais rien fait de sa vie sauf s’engraisser, décide qu’il doit faire fortune et met en route les plus improbables combines – et plus celles-ci sont invraisemblables, plus elles fonctionnent.

Son propre accent était aussi épais que celui des autres, mais pour Chuckie les habitants de Belfast parlaient comme s’ils avaient la bouche pleine d’allumettes enflammées ou de cigarettes allumées. Il aspirait à l’élégance dans l’élocution.

Belfast 1962 - photo de Brian Seed
Belfast, 1962 – credit photo @Brian Seed

Autour d’eux gravitent des personnages hauts en couleurs (irlandaises): Peggy Lurgan, la mère de Chuckie, archétype de la mère protestante qui pourrait nous surprendre, Max une belle américaine dont s’éprend Chuckie, Aoirghe une passionnaria nationaliste que Jake déteste et qui le lui rend bien, ou encore Roche, petit gavroche irlandais auquel on va s’attacher autant que Jake – sans compter les copains de la bande, les collègues malfaisants, des parents adoptifs au coeur tendre, et tout un tas de personnages secondaires voire tertiaires dont on fait connaissance le temps de quelques lignes ou quelques pages.

Imbriqué dans le quotidien de chacun, on vit à leur côté le conflit qui oppose les nationalistes aux unionistes: les graffitis qui habillent les murs, les fausses alertes à la bombe, les manifestations pour la paix qui virent au combat, la violence incommensurable des attentats.

Soudain, j’ai eu envie de quitter Belfast. A cause de cette information entendue par hasard, la ville m’a fait l’impression d’une nécropole. Chaque fois qu’il se produisait un drame semblable, je voulais partir, laisser Belfast mourir. Voilà à quoi se réduisait l’existence dans une ville pareille.

Belfast, ville triste, pauvre, divisée, déchirée, sinistrée. Et pourtant, c’est une vraie tendresse pour la ville qui court le long des pages (dont un merveilleux chapitre 10, véritable déclaration d’amour).

Si la tendresse est un des moteurs du roman, l’humour y est aussi un vrai régal. Pas seulement dans le comique de situation, mais aussi dans la truculence des dialogues et des réparties extraordinaires qui pleuvent tout le long des chapitres.

Porté par une écriture jubilatoire, le ton faussement léger de Robert McLiam Wilson traite avec profondeur et humanité tous ces petits morceaux d’histoires qui se rattachent à la grande histoire de l’Irlande.

Titre: Eureka Street

Auteur: Richard McLiam Wilson

Editeur: Christian Bourgois / 10-18

Parution: 1997

3 réflexions sur “Eureka Street

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