
Une fois n’est pas coutume, c’est d’abord en vous parlant de son auteure que je vais aborder ce roman.
Je ne connaissais pas Sedef Ecer, et à dire vrai je ne m’étais pas vraiment intéressée à elle en entamant cette lecture. Mais au fil des pages, j’ai eu besoin de savoir qui elle était – le personnage de son roman, une star de l’âge d’or du cinéma turc, avait-elle vraiment existé?
Je suis tombée sur un ancien podcast de France Culture, où j’ai pu l’écouter parler – et cette voix, ce ton, ce phrasé parfait et élégant, cette presque imperceptible pointe d’accent dans le français lettré, se sont soudain superposés à la voix de la narratrice de Trésor National en même temps que l’histoire personnelle de l’auteure m’offrait un éclairage subtil sur son roman.
Car si aujourd’hui Sefer Ecer est dramaturge, scénariste, metteuse en scène et vit en France (plusieurs points communs avec la narratrice), elle a été une enfant-star du cinéma turc des années 60-70, petite fille idolâtrée par un public à travers une bonne vingtaine de films.
Qui mieux qu’elle pouvait raconter l’histoire d’une diva du cinéma et les coulisses de l’âge d’or d’Istanbullywood ?
Cette diva, c’est Esra Zaman – avant de mourir, la grande actrice demande à sa fille Hülya de lui écrire une oraison funèbre: gravement malade, elle n’en reste pas moins la star qu’elle a toujours été et prépare le grand show pour son enterrement. La dernière provocation de celle qui fut hissée par l’état au statut de « Trésor National ».
Hülya, fâchée avec sa mère, entame alors dans l’amertume l’écriture de ce discours et replonge dans ses souvenirs pour croquer le portrait de cette femme qu’elle déteste. Il y a tant de non-dits entre elles deux, qu’elle a préféré la fuir quarante ans plus tôt en venant habiter Paris.
Leur histoire se mêle à l’histoire politique de la Turquie, marquée par quatre coups d’état qui rythmeront la vie d’Esra.

A travers ses grands rôles et par le biais des souvenirs que lui fait parvenir depuis Istanbul la meilleure amie de sa mère, Hülya dresse le portrait sans concession de celle qui fut actrice avant d’être mère – prête à sacrifier sa famille pour privilégier sa carrière.
En écrivant l’histoire d’Esra, en interrogeant les témoins ce cette histoire où la politique se mêle au cinéma, c’est aussi sa propre histoire, étouffée depuis quarante ans, que Hülya se décide à revivre.
Elle t’aura ressemblé cette carrière, Esra. Exactement à ton image, elle aura été noble, folle, spectaculaire, drôle, tragique, cheap, burlesque, prestigieuse, dingue, glamour, sérieuse, bricolée, grotesque, colorée, belle, fantasmée, passionnée, dramatique, chaleureuse, glaçante, foutraque, et bien sûr « nationale ». Exactement comme le destin de ton pays.
Quelle incroyable fresque nous offre ce « Trésor national »!
On s’imagine détester Esra autant que Hülya, et c’est finalement un portrait de femme subtil qui se dessine au fur et à mesure, et se confond avec les personnages qu’elle aura joués, à travers les drames qui ont façonné sa vie.
« Trésor national » est aussi une déclaration d’amour à la beauté d’Istanbul, enfouie sous les couches de la « nouvelle Turquie » des néo-islamistes (cette Turquie du film Mustang, un film dans lequel on n’imagine pas Esra jouer) – un paradis perdu.
Titre: Trésor national
Auteur: Sedef Ecer
Editeur: Lattès
Parution: janvier 2021
Il est un de ceux que je veux m’offrir.
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Je m’en réjouis !
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