
Derrière chaque écrivain il y a une vie qui imprègne, volontairement ou non, son oeuvre.
Maggie O’Farrell est depuis son premier roman une écrivaine à laquelle je me suis extrêmement attachée, autant par son écriture que par ses histoires, mais aussi parce que cette année de naissance que nous partageons me la rend plus proche, plus intime que n’importe quel écrivain. Et paradoxalement aussi plus mystérieuse.
C’est probablement la raison pour laquelle je ne souhaitais pas lire ce « I am, I am, I am »: peur de profaner ce mystère, peur de pénétrer une sphère trop personnelle, peur, aussi, de partager la douleur de la chair éprouvée.
« I am I am I am » n’est pas un roman, c’est un récit de vie, de dix-sept moments de vie, où la vie de Maggie O’Farrell aurait pu basculer.
Frôler la mort n’a rien d’unique, rien de particulier. Ce genre d’expérience n’est pas rare; tout le monde, je pense, l’a déjà vécu à un moment un ou à un autre, peut-être sans même le savoir. La camionnette qui passe au ras de votre vélo, le médecin fatigué qui, finalement, décide de réviser votre dosage, le conducteur ivre que ses amis réussissent laborieusement à convaincre de leur donner ses clés de voiture, le train raté parce qu’on n’a pas entendu le réveil sonner, l’avion dans lequel on n’est pas monté, le virus que l’on n’a pas attrapé, l’agresseur que l’on n’a jamais croisé, le chemin jamais emprunté. Tous autant que nous sommes, nous allons à l’aveugle, nous soutirons du temps, nous empoignons les jours, nous échappons à nos destins, nous traversons à travers les failles du temps, sans nous douter qu’à tout moment le couperet peut tomber ».
Dans cette mise à nue à la fois pudique et franche, Maggie O’Farrell revient sur ces moments constitutifs de son être, qui ont façonné depuis l’enfance sa chair, ses muscles, son squelette, sa résilience.
Ce sont des moments poignants et intenses qu’elle ausculte avec une précision extraordinaire – l’écrivaine et la femme écrivent à quatre mains, on les sent distinctement. Celle qui s’immerge dans les souvenirs, et celle qui choisit les mots à mettre dessus.
Le cumul d’autant d’expériences où la vie frôle la mort, pour une seule personne, est déconcertant. Et un tel inventaire a créé en moi une sorte d’asphyxie – parce que, dans ce récit, ce n’est finalement pas tant de sa mort que de notre propre mortalité que nous parle Maggie O’Farrell, en nous ramenant à notre condition d’humain vulnérable. Et c’est notre propre capacité à donner la mort, en même temps que nous donnons la vie, qu’elle interroge aussi: si les expériences de sa propre vie sont terrifiantes ce sont les pages liées à la maladie de sa fille qui m’ont viscéralement bouleversée, faisant écho à mes propres angoisses de mère.
Souvent difficiles, ces récits éclairent pourtant sur l’oeuvre de l’écrivaine, et plus globalement sur la façon dont une vie imprègne un travail de création littéraire, consciemment ou non. Ils permettent aussi de mieux comprendre l’hypersensibilité que l’on ressent dans son écriture, si exigeante à décrire au plus juste.
Ce livre a percé la bulle de mystère qui nimbait l’écrivaine, mais l’humilité extrême qui s’en dégage la rend aussi plus humaine, et plus proche de nous. Et on ne peut que l’en aimer davantage après cette lecture.
« I am I am I am » évoque inévitablement le « Constellations » de Sinéad Gleeson paru en début d’année, mais dans une dimension plus abordable, moins clinique – et plus romanesque dans sa conception littéraire.
Titre: I am I am I am
Auteur: Maggie O’Farrell
Editeur: Belfond
Parution: 2019
Le seul et unique livre lu de l’autrice mais j’avais adoré et m’a donné envie de la découvrir avec d’autres titres.
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J’ai beaucoup entendu parler de ce titre, il me tente énormément !
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