
D’elle j’ai longtemps porté un bijou, une médaille ronde et lisse à l’or élégant, glissée sur une longue chaîne – toute sa délicatesse était dans la cohabitation de sa sobriété et des quelques mots gravés dessus, empruntés à Saint-Exupéry « l’essentiel est invisible pour les yeux ».
Des bijoux, Delphine Arbo Pariente est passée aux livres. Les mots, elle ne les emprunte plus aux autres, ce sont les siens qu’elle grave désormais sur les pages – ils ont en commun le travail de l’orfèvre: la précision absolue du bijou longuement travaillé, ciselé, poli, chéri.
Mon histoire était emballée dans du papier journal, parfois quelques lettres s’en échappaient, formant des mots, rarement des phrases, je confondais aimer avec marié, écrire avec crier.
C’est d’abord la beauté des phrases qui happe, une émotion vive, viscérale, qui parcourt l’épiderme. La grâce est dans ces phrases, que l’on ressent le besoin de lire plusieurs fois, dans le frisson que procurent les métaphores, dans le rythme du phrasé qui suspend tout autour de nous. L’écriture de l’écrivaine vient de loin, et c’est certainement pour cette raison qu’elle bouleverse tant.
Et puis il y a l’histoire.
Mona a quarante-six ans, elle vit avec Paul qui depuis douze ans a su apaiser sa vie – quand Vincent y entre, par le biais d’un regard dans lequel l’un et l’autre se reconnaissent.
Leur histoire s’ancre dans leurs blessures intimes qui vont les révéler l’un à l’autre, au-delà de l’amour profond qui naît de cette rencontre.

Parfois, je me demandais si Vincent n’était pas entré dans ma vie pour aller prendre la main de la petite fille que j’abritais, il savait la puissance des bourrasques sur les champs de magnolias.
Nourrie de cet espace qu’ouvre leur histoire, la petite fille que Mona a abritée au fond d’elle pendant des années ressurgit des humiliations de l’enfance.
Elle avait tout enfoui, la mère inerte dans son monde flou, le père avec ses mots terribles et ses colères, la honte de la misère, le froid, la faim, les mensonges, les vols à l’étalage, la visite hebdomadaire au supermarché dont la famille sort repue et habillée de neuf, et un jour, à onze ans, la naissance du petit frère – l’indicible.
Ces hier ont longtemps teinté de gris ses aujourd’hui, ils ne laissaient ni bosses ni bleus, elle boitait pourtant devant demain. Sa mémoire, ce n’est pas le passé qu’elle contient, mais le présent qui la déborde
J’ai tout profondément aimé dans ce roman, la beauté du sentiment amoureux écrit avec acuité, l’innocence abusée qui m’a profondément bouleversée, l’histoire de l’exil familial avec ce qu’il inscrit en ceux qui l’ont vécu, Mona, dont je me suis sentie si proche. Et la plume de Delphine Arbo Pariente, qui m’a renvoyée au vertige intime de l’écriture.
Depuis plusieurs semaines, mon intuition me ramenait sans cesse à ce roman – merci à Agathe the book qui avec son post m’a convaincue d’écouter ma petite voix intérieure. Et de faire ainsi une de mes plus vibrantes lectures de l’année.
Titre: Une nuit après nous
Auteur: Delphine Arbo Pariente
Editeur: Gallimard
Parution: septembre 2021