
Depuis les Costwolds, dans le sud-ouest de l’Angleterre, une troupe hétéroclite est en marche vers Calais, devenue anglaise après la victoire de Crécy.
Laurence Hacket, preux chevalier, va prendre possession de son manoir, rejoint par sa troupe d’archers, des hommes de guerre sans foi ni loi menés par Hayne, « un géant qui parle guère » mais fait respecter ses lois arbitraires.
Will Quate, un jeune laboureur qui veut s’affranchir de son servage et par ailleurs vaillant archer, s’est joint au groupe belliqueux pour un an, avant de revenir se marier avec Ness. Dans son sillage se cache Hab, son androgyne ami porcher.
Ils sont rattrapés par dame Bernardine, qui fuit un mariage arrangé, espérant épouser Laurence Hacket – idéalisé par sa lecture du sulfureux Roman de la rose volé à son père, et qui va se révéler bien moins courtois qu’elle l’imaginait.
Enfin, leur chemin croise celui de Thomas, un procureur écossais qui doit rejoindre Avignon.
De l’autre côté de la Manche, en cette année 1348, la peste fait des ravages, et ils s’en croient encore à l’abri – mais elle arrive à leur rencontre et étreint bientôt les guerriers. Dans un chariot qui les accompagne, Cess une française violée et enlevée deux ans plus tôt à Mantes symbolise la repentance qui les saisit soudain face à une mort possible, tout en affichant un refus de culpabilité des nombreux crimes qu’ils ont commis.
Dans ce roman jubilatoire, à la fois profond et facétieux, James Meek nous offre un regard totalement frais sur le Moyen-Age, sans pour autant en profaner le caractère historique et religieux. Il nous fait vivre de grands moments épiques, comme cette joute où nos archers vont interpréter un savoureux spectacle de l’Amour en décochant leurs flèches allégoriques.
L’amour, James Meek en casse les codes. Il réinvente l’idéal amoureux à travers le couple inattendu et enchanteur de cette épopée, Will et Hab.
« Tant que le monde est sur le point de finir, j’ai peur de rien » dit Hab, fort de cet amour qui a pu exister dans cette situation extraordinaire.
A côté de Hab, magnifique et audacieux conquérant du coeur de Will, les femmes sont les grandes héroïnes de l’histoire, révélant leur courage.
Dans cette drôle de troupe se téléscopent trois mondes, trois classes sociales aux différences marquées, dont les frontières étanches deviennent un peu plus poreuses au fil du roman. James Meek a travaillé ces différences notamment à travers le langage: l’anglais rustique du peuple se mêle de français pour la noblesse, de latin pour le clergé. Ces différences créent de temps à autres des incompréhensions dans les interactions des personnages. On se régale du naturel de Hab qui régulièrement s’exclame « Et ça veut dire quoi, en anglais? » ou « C’est trop de français pour moi ».
C’est un exercice littéraire audacieux, véritable défi de traduction qui a nécessité une inventivité particulière. Le résultat donne une lecture parfois laborieuse, qui a été un frein au démarrage de ma lecture mais la persévérance ouvre à un roman unique, riche de tous ses niveaux de lecture, tant sur le fond que sur la forme.
Dans cette revisite du roman médiéval, James Meek introduit une modernité qui fait écho au grands thèmes sociétaux et sanitaires actuels, avec une vraie vibration féministe.
Traduction : David Fauquemberg
Titre: Vers Calais, en temps ordinaire (To Calais, in Ordinary Time)
Auteur: James Meek
Editeur: éditions Métailié
Parution: janvier 2022