
La mémoire est un lieu dans lequel se succèdent des portes à entrouvrir ou à ignorer »
C’est dans cette métaphore que Lola Lafon va errer une nuit d’août 2021, parcourant seule, de pièce en pièce, le Musée Anne Frank – à côtoyer le vide, à se confronter à l’absence, comme le voulut Otto Frank en 1960.
Trouver dans cette nuit sa vérité et affronter le déni de son histoire familiale. « Mes nuits sont celles d’un imposteur sur le point d’être démasquée »
Au coeur de l’Annexe, les réflexions de l’écrivaine convergent naturellement vers l’écriture du journal d’Anne Frank, présenté à sa sortie comme « l’oeuvre spontanée d’une adolescente » sans faire mention de tout le travail de réécriture qu’avait effectué Anne Frank, un vrai travail d’écrivain. « Anne désirait être lue, pas vénérée ». Or, Anne Frank est devenue l’objet d’un culte qui pose une question : à qui appartient Anne Frank?
Lola Lafon fait une analyse passionnante et émouvante de la portée du journal, de ce qu’on a voulu en faire, de ce qu’on a voulu en taire, des messages porteurs d’espoir qu’on en a détournés pour oublier ceux qui exprimaient la colère et le réalisme d’une guerre vue par une adolescente prisonnière « soumise à une peine sans fin ». Des mots « Shoah », « régime nazi » que l’éditeur américain a occultés, d’une histoire « trop juive, trop triste » que le théâtre a transformé en « de jolis moments de comédie faisant ressortir une situation tragique » pour que le public américain y adhère.
De ses discussions avec Lauren Nussbaum, un des derniers témoins à avoir bien connu les Frank, elle aide à entrevoir Anne Frank sans le fantasme qu’ont créé les 30 millions d’exemplaires vendus.
En se confrontant au journal d’Anne Frank, Lola Lafon interroge, d’écrivaine à écrivaine, le rapport à l’écriture, et à l’écriture vitale du journal intime. « C’est en écrivant ce que je vis que je comprends ce que je vis ». Quel magnifique écho au travail d’Anne Frank.
Être dans l’Annexe d’Anne Frank, c’est aussi ouvrir la porte au traumatisme familial que Lola Lafon avait toujours gardé à distance: la mort des siens dans les camps de concentration. C’est questionner sa propre identité née de trois cultures, son enfance en Roumanie – et laisser la porte ouverte à un garçon qui a traversé la vie comme une étoile filante, pour y déposer son nom et l’offrir au silence.
Que faire d’une seule nuit ? Il faudrait des années pour y répondre »
Mais parfois une seule nuit pour trouver les réponses.
Lola Lafon livre un récit intime mais pudiquement entremêlé de cette « rencontre » avec Anne Frank. Des pages d’une beauté bouleversante.
Titre: Quand tu écouteras cette histoire
Auteur: Lola Lafon
Editeur: Stock / collection Une nuit au musée
Parution: Août 2022
Une réflexion sur “Quand tu écouteras cette chanson”