Le dernier des siens

photo du livre Le dernier des siens

Voici mon dernier coup de coeur de l’année 2022, et quel coup de coeur!

Auguste, un jeune naturaliste français, est en mission pour le musée d’histoire naturelle de Lille.

Nous sommes en 1835, au large de l’Islande, et il assiste au massacre d’une colonie de grands pingouins par des pêcheurs. Il en sauve un, qu’il compte envoyer à Lille pour enrichir la collection du musée.

Mais de retour chez lui, aux Orcades, après des jours passés à observer le pingouin, un attachement inattendu se dessine entre l’homme et le pingouin. Un cri comme une manifestation de joie, un dandinement du pingouin qui se dirige vers lui, un frottement de bec contre la jambe de son pantalon: soudain Gus réalise toute sa responsabilité à l’égard du volatile. 

Il se réveilla. Quelque chose de dur venait de gratter son cuir chevelu, quelque chose qui ressemblait à une pierre plate, un peu froide, ou quelque chose de pointu qui lui tirait les cheveux, mèche par mèche, sans lui faire mal, juste assez pour qu’il s’en rende compte. Sa tête reposait sur son bras au-dessus du panier. Il ne sentait pas Prosp sous lui. Il craignit de l’avoir écrasé. Il tourna la tête et vit un long cou qui s’agitait, sans tête, contre sa tempe. Et il comprit que Prosp, avec délicatesse, lui lissait les cheveux comme lui-même lui avait lissé ses plumes quand il muait, l’épouillait peut-être comme on ôte les parasites d’un pingouin ami.

Convoité par d’autres hommes, trop attaché à lui pour le livrer au musée, Gus fuit avec celui qu’il va prénommer Prosp. 

Aux îles Féroé, où il va se réfugier avec Prosp, Gus se retrouve confronté à un cas de conscience: doit-il rendre Prosp aux siens, pour qu’il puisse vivre sa vie de pingouin, et trouver une compagne?

Mais les congénères de Prosp, chassés pour leurs plumes qui feront des édredons douillets et pour leur chair grasse qui coule sur le menton des marins, sont devenus rares.

Gus  va être confronté à une triste réalité: Prosp est le dernier de son espèce. Le dernier des siens: « un spécimen unique, un fossile bientôt incrusté dans un rocher au bord de la mer ». 

Il va mesurer la fragilité du vivant, alors que le monde scientifique commence à peine à questionner la disparition des espèces. 

Spécimen naturalisé de Grand pingouin, photographie de Pierre Petit (1831 - 1909) vers 1880 © MNHN
Spécimen naturalisé de Grand pingouin, photographie de Pierre Petit (1831 – 1909) vers 1880 © MNHN

Le scientifique qu’il est interroge l’identité des animaux domestiqués: quelle conscience ont-ils d’eux-mêmes, se croient-ils humains comme ceux dont la main les nourrit et les cajole, ou se savent-ils, de façon innée, totalement animaux, et donc différents? L’affection entre eux est-elle la raison ou la conséquence de cette zone où leurs vies s’entrecroisent? 

L’histoire de Gus et Prosp, à travers leurs vies qui vont se lier inextricablement l’une à l’autre, est totalement bouleversante. 

Mais la magie du roman ne s’arrête pas à cela. Les attitudes, les intentions, et même les sentiments que Sybille Grimbert prête à Prosp sont littéralement convaincantes – toujours plausibles, sans jamais verser, bien loin de là, dans la caricature animalière, car elle conserve toujours une considération scientifique – dans une écriture d’une grande très belle facture littéraire.

Au-delà de sensibiliser à la disparition des espèces animales, en ces temps où nous mesurons l’extrême vulnérabilité de notre planète, « Le dernier des siens » est roman d’apprentissage unique, sur fond de paysages scandinaves enivrants de réalisme, à travers deux solitudes qui s’apprivoisent. 

Bravo aux éditions Anne Carrière qui cette année 2022 m’ont entièrement conquise avec deux extraordinaires romans, très différents, mais qui ont en commun une belle audace.

Pour en apprendre plus : comment le grand pingouin a disparu par Brut

Titre: le dernier des siens

Auteur: Sybille Grimbert

Editeur: éditions Anne Carrière

Parution: août 2022

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