Il reste la poussière

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Quelque part en Patagonie, dans les steppes sans fin de ce désert argentin.

On devine que l’action se situe au début du vingtième siècle, mais qu’importe peut-être? Les grandes exploitations qui commercent avec l’Europe ont remplacé les petites fermes qui survivent comme elles le peuvent, à l’image de l’estancia de la mère.

C’est d’une main de fer qu’elle dirige sa ferme isolée. Le mari, soulard comme son père, a disparu depuis longtemps. Parti, a-t-elle dit à ses enfants, sans autre forme d’explication. Les enfants sont quatre: les jumeaux Mauro le grand et Joaquin le petit, suivis de celui qu’ils ont surnommé le débile, Steban, et enfin le petit, né après la disparition du père, Rafael. Six ans le séparent des aînés, qui depuis toujours le martyrisent. Alors Rafael se réfugie auprès de son cheval et de ses chiens. La mère, elle, ferme les yeux, sévère, froide, indifférente – seul l’intérêt du bétail, bovins et brebis, semble avoir un intérêt à ses yeux. Elle a revêtu ses épaules du rôle de l’homme, et lorsqu’elle se rend à San Léon, les hommes la respectent comme un des leurs

A part elle, aucune femme ne franchit les portes du bar. Parfois, quand elle a bien bu, elle pouffe en disant qu’elle est devenue un homme comme les autres.

Malgré ces conditions de vie rude, sans tendresse et sans reconnaissance, les quatre garçons respectent leur mère, en dépit des envies, régulières, d’en découdre avec elle:

Qu’ils l’adorent ou la haïssent, selon les jours et les humeurs, la mère est la femme sacrée. Ils en découlent, eux qui ont bu le lait, nourrissons crieurs et minuscules dont elle a fait des hommes. Son autorité les révolte et les soumet; ils savent que, sans elle, l’estancia serait un immense terrain vague, et eux des enfants sauvages ne valant pas mieux que es renards errants à l’affût des petits rongeurs.

Mais une mère peut-elle tout faire subir à ses fils, surtout quand il s’agit du pire?

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C’est avec ce roman noir, très noir, que je découvre Sandrine Collette – qui pour tout dire m’évoquait injustement du polar commercial à gros tirage (mais ça, c’était avant).

J’ai été tout simplement bluffée par ce roman, remarquable à plusieurs titre.

Sous sa forme chorale, il offre au lecteur un regard sous différents angles, de manière à donner de l’humanité à des personnages qui en paraissent pourtant totalement dénués. Si Rafael, le cadet, a gagné notre totale empathie depuis le début de l’histoire, les autres frères prennent de l’épaisseur, grâce à une extrême finesse dans l’analyse psychologique des personnages. La mère n’est pas en reste, même s’il semble difficile d’éprouver autre chose pour elle que de l’aversion – et pourtant on l’espère, jusqu’au bout.

Bien au-delà de l’histoire, qui parfois s’étire un tout petit peu trop, c’est la splendeur des grands espaces qui subjugue. La steppe, les forêts qui lui succèdent, les lacs. Sur son cheval Halley, fier cavalier, Rafael ne fait qu’un avec la nature, qui lui offre un refuge plus aimant et plus accueillant que l’estancia.

Le lac se découvre sans prévenir, offrant son immensité décousue à la stupeur du petit. Bordé d’herbes et de bosquets, il se resserre en gués sinueux et s’ouvre sur de larges taches bleues, de minuscules plages qui permettent d’y accéder. Rafael saute de cheval et se déshabille, court vers l’eau peu profonde, si transparente qu’il voit les cailloux plats sous ses pieds. Court encore et se jette enfin, saisi par la fraîcheur sur sa peau, émergeant à la surface en grelottant. Il rit tout seul, agite les bras pour faire jaillir les éclaboussures. Autour de lui le lac est blanc mousseux, et les arbustes vert tendre, et le bleu du ciel. Il crie. La joie, trop forte pour rester dans son ventre et dans sa gorge, indicible, mais ils faut qu’elle sorte sinon il explose, et ce qu’il rugit, c’est la splendeur du monde, une trouvaille inouïe, qui lui coupe le souffle, qui fait cogner ses tempes. La bouche ouverte sur un rire incrédule il se tait peu à peu, ne garde que l’éblouissement, et les vertiges. Dans les flots paisibles il tourne sur lui-même, sent le mouvement de l’eau contre ses hanches. Virevolte encore, et encore, et titube. S’immobilise dans un dernier cri.

Avec ce roman des grands espaces, Sandrine Collette rejoint certainement ici les plus grands écrivains américains du nature writing. Mais Il reste la poussière est aussi un roman noir, un roman d’apprentissage, puissant, sauvage.

L’écriture est brute, précise, parfaitement assortie à l’âpreté de l’histoire, des paysages, et de la vie peu ordinaire de ces personnages.

Il reste à la poussière est indéniablement un grand roman, qui n’a rien à envier à ses cousins américains.

Prix Landerneau 2016, il fait partie de la sélection 2018 Prix SNCF du polar – je vous en parle bientôt.

Titre: Il reste la poussière

Auteur: Sandrine Collette

Editeur: Denoël / Livre de poche

Parution: 2016

11 réflexions sur “Il reste la poussière

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