Où se partagent les eaux

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Lucien, peintre parisien, est en couple avec Maria, jeune ethnologue italienne, fille d’une riche famille du nord de l’Italie.

En vacances en Sicile, ils sillonnent tranquillement l’île, jusqu’à ce qu’ils tombent sur un petit port de la pointe du sud-est. C’est pour Maria sa première incursion dans le sud italien, et elle y a amené tout son scepticisme et sa supériorité nord italiens. Malgré tout, elle se laisse séduire par l’enthousiasme de Lucien, qui après une rencontre improbable avec un vieil aristocrate convainc Maria d’acheter une maison des plus rudimentaires, au bord d’une falaise, face à la mer, là où se partagent les mers thyrrhénienne  et ionienne.

Sont-ce les divergences nées de leurs regards sur la Sicile, indulgent pour Lucien, critique pour Maria, qui auront raison de leur couple? A l’image de leur maison au bord de la falaise qui se délabre au fil des ans, leur relation ne résistera pas à l’érosion des sentiments de Maria.

Ce roman, publié à l’origine en 2005 et que les éditions Philippe Rey rééditent en cette rentrée littéraire de janvier 2018, est avant tout un recueil de chroniques sur la Sicile. Mais une Sicile un peu fanée, puisque sans que ce soit précisé, on devine que le roman se déroule entre la fin des années 60 et le début des années 70 (je vous avoue, j’ai cherché les indices pour pouvoir dater l’histoire!). On y paie encore en lires italiennes, et les souvenirs de la seconde guerre mondiale ne sont pas loin, les anciens du village en parlent encore, allant jusqu’à regretter Mussolini!

Ces chroniques sont l’occasion de portraits croustillants, qui, si on ne connaît pas la Sicile, peuvent sembler caricaturaux.

Pendant que je regardais la colonne des dépenses, mon oeil glissait vers l’ongle de son petit doigt: un ongle long, démesurément long, cintré, pointu, entretenu avec soin, poli, nacré, comme en portent en Sicile, je l’avais constaté avec amusement, les fonctionnaires, les employés de mairie, les directeurs d’école, les professions libérales, tout ce qui se pique d’appartenir à la classe des « notables ». Ils veulent montrer qu’ils n’ont pas besoin de travailler de leurs mains.

Mais tous les ingrédients sont là: la sacro-sainte présence de l’église, le machisme, le kitsch clinquant de la décoration.

A l’image du Guépard, que Maria lit d’ailleurs dans lors du voyage, c’est une Sicile poussiéreuse, aussi, où la vieille aristocratie s’efforce d’oublier la victoire garibaldienne.

Vous ne connaissez pas la Sicile. Ce qui est doit rester immuable. Comme on a vécu, on continuera à vivre. Il faut faire ce qu’on a toujours fait. Une tante que j’ai à Catane prends sa glace sur son balcon, en pleine canicule, par quarante degrés; la glace est fondue avant qu’elle n’arrive à sa bouche; son appartement, à l’intérieure, est frais; mais, à Catane, « on prend sa glace sur le balcon ». J’ai beau lui dire qu’un tel usage est absurde, elle me rétorque que sa mère, la mère de sa mère et toutes ses aïeules depuis la nuit des temps ont toujours pris leur glace sur le balcon.

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Syracuse, Ortigia, 2017

Et si quarante ans plus tard l’île s’est modernisée, elle garde encore certaines marques de cette désuétude.

Dominique Fernandez, qui est l’auteur de nombreux essais et romans, lauréat du prix Médicis (Porporino ou les mystères de Naples), et du prix Goncourt (Dans la main de l’ange) et membre de l’Académie française, a une plume  très érudite, mais pour autant très agréable à lire. J’ai aimé son regard, les promenades offertes à travers ces villes que j’adore Noto, Modica, Catane, Syracuse, cette façon souvent drôle et affectueuse de parler de la Sicile, son analyse d’une société du sud, à la tradition très ancrée.

Ais-je le droit de remettre en questions les propos d’un Immortel? Allez, j’ose… j’ai relevé dans le roman ce qui ressemble à un anachronisme…  Dans leurs déambulations sur l’île d’Ortigia, Lucien et Maria se promènent dans le quartier de la Giudecca. Là, ils visitent un bain israélite, indiqué par un panneau… A ma connaissance, le seul mikve connu d’Ortigia a été découvert à la fin des années 80. Oui, je m’autorise un moment de frime, mais on ne me trompe pas sur ce coin de Sicile que j’aime! J’oublie que fiction et réalité ne se confondent pas toujours, et que c’est l’essence même d’un roman, ce droit à inventer, à travestir la réalité. Mais parfois, la cartésienne que je suis a du mal à s’accommoder des arrangements avec la réalité!

Quoiqu’il en soit, ce roman m’a donné envie de découvrir Dominique Fernandez à travers d’autres ouvrages, et d’en emmener avec moi dans mes bagages lors d’un prochain voyage dans le Sud de l’Italie.

Alors si vous prévoyez un séjour en Sicile, glissez ce livre dans votre sac de voyage, à côté de l’incontournable Guépard!

★★★☆☆

Titre: Où les eaux se partagent

Auteur: Dominique Fernandez

Editeur: Philippe Rey

Parution: 4 janvier 2017

8 réflexions sur “Où se partagent les eaux

    1. bien vu ☺️pour tout te dire, je voulais autre chose que les étoiles, mais je n’ai pas trouvé autre chose en symboles pleins / vides qui soient identiques (bon je ne sais pas si tu suis ma pensée)! Je n’aime pas la notation brute de la note chiffrée, je préfère donner une sensibilité. Si je trouve une autre idée je changerai (j’ai un peu le sentiment d’avoir pompé sur toi 🙊) mais je voulais absolument aborder mes premières chroniques de 2018 avec une appréciation – enfin!

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