L’enfant perdue

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Un an! Un an que j’attendais ce moment, que je traquais la date de sortie!

Le 18 janvier, L’enfant Perdue a donc rejoint ma PAL… pour en être délogée aussitôt! Je l’avais suffisamment attendue.

Si vous n’avez pas lu le troisième épisode de la tétralogie, alors vous lirez les prochaines lignes à vos risques et périls!

Souvenez-vous: dans Celle qui fuit et celle qui reste, nous sommes dans les années 70, Lila fait partie des précurseurs de l’informatique en Italie et elle crée avec son compagnon Enzo une société dédiée aux ordinateurs. Lenu est mariée à Pietro et a emménagé avec son professeur de mari à Florence, jusqu’au jour où sa relative félicité familiale est chamboulée par la réapparition du ténébreux Nino, son amour de toujours.

Lenu, souvent prudente, parfois énervante dans le précédent épisode, va se révéler ici à elle-même, assumant sa passion dévorante pour Nino en quittant avec pertes et fracas son mari, et en laissant derrière elle ses deux filles – elle y pensera plus tard, toute entière à sa relation passionnée et à sa carrière, et va voir sa notoriété d’écrivaine s’établir rapidement. Revenue vivre à Naples, Lenu évite Lila. Elle a réussi à se détacher de son emprise. Pour un temps seulement, car bientôt les deux amies se retrouvent dans leur fusion originelle – comme si elles avaient pressenti le besoin de se rapprocher pour affronter ensemble les épreuves et les deuils de cette nouvelle période.

Car avec L’enfant Perdue, c’est une période autrement dramatique que nos protagonistes abordent. Cette période dite de « maturité, vieillesse » (après « enfance et adolescence » dans l’épisode un, « jeunesse » dans le deux et « époque intermédiaire » dans le trois) voit nos deux héroïnes s’affirmer. Lenu prend à bras le corps son destin de femme divorcée, d’amoureuse trahie, de mère célibataire, conjugue comme elle le peut enfants et carrière. Lila, qui n’a jamais quitté le quartier de leur enfance, y est devenue incontournable, respectée – même de la mère de Lenu qui pendant si longtemps ne l’a pas aimée: elle est au courant de tout, procure argent et travail grâce à sa société florissante. Mais cette période de maturité est aussi la période où la perte, la mort s’entremêlent à la vie et à la chair.

Si de Lenu, la narratrice, nous savons tout – ses pensées, ses états d’âme, les moindres parcelles de sa vie, Lila garde tout son mystère, même pour Lenu.

Que sait-on d’elle, en dehors de son intelligence extrême, de sa beauté pas complètement perdue qui continue d’aimanter les hommes, de son habileté à manipuler les autres et surtout Lenu, de sa dureté, de son endurance? Ces quatre volumes ne nous éclaireront pas, et même, le mystère sera encore plus épais en refermant L’enfant Perdue. Pour autant, elle aura gagné en profondeur, en émotion, lorsqu’elle sera touchée dans sa chair. Lila suscite enfin l’empathie qu’on pouvait avoir perdu pour elle dans Celle qui fuit et Celle qui reste – ou même ne jamais avoir ressentie. On l’approche un peu plus, on la frôle, mais jamais assez longtemps pour comprendre son mystère. Le connaît-elle elle-même? Finalement, celle qui a bataillé depuis son enfance contre ses ennemis n’abrite-t-elle pas en elle sa plus grande ennemie?

Elle se distinguait de toutes les autres parce que, avec grand naturel, elle ne se pliait à aucun dressage, à aucune utilisation, à aucun but

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Naples – Août 2015

A travers les 30 ans de vie relatés dans ce dernier épisode, un épisode d’une densité narrative remarquable, le drame est à son paroxysme. Ce ne sont pas que les drames personnels, ce sont aussi ceux d’un pays et d’une région où la corruption règne et où la nature même se déchaîne dans le terrible tremblement de terre de 1980. La situation politique, même si elle n’est pas au centre du roman comme dans le troisième épisode, reste toutefois en toile de fond de l’histoire: communistes et fascistes continuent de s’affronter, Nino s’engage dans le parti socialiste, Pasquale le terroriste se cache pour ne pas répondre de ses crimes, pour lesquels il devra pourtant bien payer un jour. Et le pays continue sa dérive dans la corruption et la violence.

Les personnages secondaires sont traités avec autant d’égard que les personnages principaux, Elena Ferrante leur donne vie et corps, sait exalter leur beauté ou leur laideur, leurs bons côtés ou leurs travers, dans un réalisme parfait.

La langue, toujours, a son importance, comme pour toujours rappeler les différences de classes, les ascensions sociales: italien et napolitain se mêlent, l’italien pour les belles idées, le napolitain pour les colères, injures, les passions et les drames:

Je la suppliais et souvent la provoquais. Elle réagissait sans jamais arriver au point de perdre la maîtrise de soi et de se libérer.

Je me dis que c’était peut-être une question de langue. Elle avait recours à l’italien comme à une barrière et je cherchais à la pousser vers le dialecte, notre langue de la franchise. Mais alors que son italien était traduit du dialecte, mon dialecte était de plus en plus traduit de l’italien, et nous parlions toutes les deux dans une langue factice.

Et Naples, comme elle domine la mer et toute cette splendide baie, continue à dominer l’histoire. N’en est-elle pas finalement l’héroïne principale, ou alors, au moins, l’alter ego de Lila?

Lorsque l’on tourne la dernière page, la boucle se boucle, avec le retour au premier épisode, paru peut-être anodin mais finalement complètement fondateur: la perte des poupées Tina et Nu mystérieusement disparues dans la cave de Don Achille 50 ans plus tôt. Mais les questions surgissent aussi. On ose espérer que peut-être, cette fin ouverte est le début de quelque chose d’autre. Après tout, qu’écrit Lila toute la journée sur son ordinateur? Sa propre version de l’histoire? C’est en tous les cas ce à quoi je me suis raccrochée.

Vous l’aurez compris, L’enfant Perdue m’a complètement happée, envoûtée, c’est le bouquet final dramatique d’une saga qui nous aura tous, lecteurs et lectrices, tenus en haleine depuis la parution de L’Amie Prodigieuse. Tout ce qui avait pu me déranger dans l’avant-dernier épisode se trouve ici lissé: Lenu s’affirme et perd cette hésitation énervante qui la caractérisait, Lila gagne en humanité ce qu’elle perd en méchanceté – ou alors sa méchanceté rencontre enfin notre empathie. Les destins des différents protagonistes sont bouclés, et pourtant le mystère demeure, à l’image de l’auteure de la saga.

Elena Ferrante a démontré un talent immense, une capacité à traiter la petite histoire dans la grande sans jamais négliger l’une au détriment de l’autre mais au contraire, en mettant à tour de rôle l’une au service de l’autre. Deux mille pages étourdissantes, des héroïnes que nous nous sommes passionnément appropriées, et une ville, même noire, même sale, même corrompue, qui aura offert aux amoureux de l’Italie (et à ceux qui ne la connaissent pas aussi, j’ose espérer) un dépaysement hors norme (voir à ce propos ma ballade napolitaine).

★ ★ ★ ★ ★

Titre: L’enfant perdue (Storia della bambina perduta)

Auteur: Elena Ferrante

Editeur: Gallimard

Parution: Janvier 2018

13 réflexions sur “L’enfant perdue

    1. Entretemps j’en ai rencontré d’autres, comme toi et Electra! Mais je peux concevoir qu’on n’accroche pas. Peut-être que s’il n’y avait pas eu cette attraction napolitaine, mon enthousiasme n’aurait pas été le même. Je respecte pleinement qu’on ne puisse pas être tombé sous le charme (mais c’est dommage 😈)

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    2. 150 pages .. oui j’ai tenu 150 pages mais en criant, hurlant .. J’ai fait peur à Marie ! Pas de souci, elle n’a pas eu besoin de moi pour connaître le succès ! Elle écrit très bien ceci dit – je n’ai tout simplement pas du tout aimé les personnages et l’ambiance « comedia dell arte » (j’aime les romans nordiques ….)

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      1. Mais l’Italie, c’est la comedia Dell arte! Et surtout le Sud, avec ses exubérances, ses passions, tout y est plus intense, plus anarchique qu’ailleurs!
        Je respecte pleinement qu’on n’accroche pas, voire qu’on n’aime pas

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  1. Bé non, vous n’êtes pas seules les filles! je n’en ai lu aucun ^^ Je ne sais pas, je ne suis pas tentée.
    Peut-être un jour… (j’ai le tome 1 en poche à la maison). En tout cas, je suis heureuse que tu aies autant apprécié cet ultime épisode! C’est très décevant quand on attend le dernier volet d’une saga et qu’au final, il ne ressemble en rien à ce qu’on s’était imaginé.

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  2. Je viens de terminer la dernière ligne du tome 4, désœuvrée que cette histoire qui m’a tant tenue en haleine s’arrête là et de cette manière.

    J’espere Aussi que nous aurons l’occasion de découvrir ce qu’est devenue Lila – et qui sait, Tina – ce qu’elle écrivait et si elle et Lenu se sont revues une dernière fois …

    Je ne peux que le conseiller ce que j’ai déjà fait des dizaines de fois depuis le tome 1

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