C’était il y a un peu plus d’une semaine, au musée Gustave Moreau.
Les éditions Stock organisaient une présentation de la rentrée littéraire de janvier. Les écrivains défilaient chacun leur tour, pour nous parler de leur livre.
Serge Toubiana est arrivé à pas lents, humble, avec une hésitation légèrement perceptible. Un homme distingué, à l’élégance simple et naturelle, face à un auditoire en attente et déjà bienveillant. Car nous savions que le livre dont il venait nous parler était une plaie vive, le réceptacle d’un immense chagrin. Et malgré cette peine immense, qui nous a tous bouleversés, à travers ses larmes pudiques, il a dit cette chose à la fois simple et forte : « j’ai écrit ce livre pour moi, mais maintenant il appartient aux lecteurs », avec une sorte de gêne à dévoiler ces pages intimes.
Car il est bien question d’intime ici, et d’amour – surtout d’amour. D’un amour profond, inaltérable. « Parler de l’amour, c’est quelque chose d’important » a-t-il continué. Et nous n’attendions que cela, qu’il nous parle de l’amour.
« L’écriture a fait renaître Emmanuelle telle qu’elle était, jeune, intrépide, guerrière, séduisante »
Le 10 mai 2017, Emmanuèle Bernheim, romancière et compagne de Serge Toubiana, mourrait après un long combat contre la maladie. Vingt-huit ans de vie commune ont rendu ces deux êtres inséparables. Comment faire face au chagrin, démuni de l’amour de sa vie? Raconter. Ecrire.
Ecrire pour être à ses côtés et prolonger le bonheur d’avoir vécu auprès d’elle. Ecrire pour combler le vide, l’absence. Pour raconter le film de sa vie. Et faire en sorte qu’il ne soit jamais interrompu.
« Emmanuèle n’avait que des qualités » – les yeux et la voix de Serge Toubiana sont remplis de son amour pour sa compagne, et c’est cet amour qui transcende le récit.
Emmanuèle Bernheim, une femme si peu conventionnelle qui nageait été comme hiver dans les eaux froides de l’Ile aux Moines, là où le couple avait sa « MdB » – sa Maison du Bonheur. Elle nageait, de sa drôle de nage qui réclamait cette énergie incroyable dont elle était faite, et allait vers le large jusqu’aux bouées jaunes. Cette vision est devenue la bouée à laquelle l’auteur s’est accroché.
A travers ces pages, Serge Toubiana raconte sa compagne, depuis la jeune fille qu’il a engagée comme documentaliste à la photothèque des Cahiers du Cinéma, jusqu’à la femme dont il est tombé éperdument amoureux, et qui va devenir une romancière au style franc, exigeant, épuré au possible.
Evidemment, la lecture de ce témoignage, de cette affirmation de son amour (affirmation, car sa déclaration, il lui avait faite depuis longtemps) rendent le récit absolument émouvant sans être pesamment larmoyant – il irradie plutôt de la lumière de cet amour qui se révèle plus fort que jamais dans la perte de l’être aimé. Il est servi par une écriture belle et délicate, qui dit tout de l’élégance de cet homme en deuil de son amour.
On se doute, à la manière dont il cite tous les noms très connus du milieu cinématographique ou littéraire de ceux qui les ont accompagnés dans cette épreuve, que ce livre est, d’un certain point de vue, sa façon de remercier tous ses amis chers. Alors on se sent un peu intrus, un peu en trop, un peu voyeur, un peu hors du système – mais Serge Toubiana nous a prévenus, ce livre il l’a écrit pour lui. A la manière dont on se raconte dans un journal intime. Et il nous a donné à découvrir une femme passionnante, pour laquelle il déborde d’admiration. Une femme qui aimait aussi Rocky, et dont la chanson préférée, Eye of the Tiger, était devenue son hymne – un hymne au combat et à la vie qui aura résonné dans les allées du Père Lachaise le jour de ses funérailles – « Je n’ai pas d’exigence précise, mais cette musique est non négociable »
Pam Pam Pam… So many times, it happens too fast, you change your passion for glory… It’s the Eye of the Tiger, it’s the thrill of the fight, rising up to the challenge of our rival
Serge Toubiana a longtemps dirigé Les cahiers du cinéma, et la Cinémathèque Française. Il préside Unifrance (qui représente le cinéma français à l’étranger). Il est l’auteur de plusieurs livres sur le cinéma. Les bouées jaunes est son premier récit littéraire
★ ★ ★ ☆ ☆
Titre: Les bouées jaunes
Auteur: Serge Toubiana
Editeur: Stock
Parution: janvier 2018
Ta chronique est si douce et touchante. Elle donne envie, alors merci.
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Merci beaucoup!
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Je vois bien ce que tu veux dire quand tu dis que ça reste lumineux malgré le sujet. C’est toujours un pari de parler du deuil et de la perte de l’être aimé, sans que cela ne soit trop triste. Perso, je zappe si c’est trop émouvant (j’ai un trop petit coeur). Donc au final, il m’intéresse bien ce récit!
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Il rappelle forcément L’année de la pensée magique (Joan Didion) ou Un jour, tu raconteras cette histoire (Joyce Maynard)… Mais vu du point de vue d’un homme, c’est très intéressant. Toutes les femmes rêveraient d’être ainsi aimées par un homme 💔
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Ton billet me suffit! Tu sais, moi, l’amour….!
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Le prochain est celui d’un écorché comme tu les aimes, mais made in France… 🙂 A suivre!!!
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Je me demandais justement si c’était son premier roman ou pas, tu as répondu à ma question 🙂
Je pense que je serai sensible à cette histoire d’amour surtout vue par le regard d’un homme. (Leur photo est tellement belle!)
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C’est une histoire d’amour d’une richesse inouïe. Dans son récit, Serge Toubiana parle du vide que la disparition d’Emmanuelle Bernheim a laissé. Comment ne pas comprendre?
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Voilà. J’ai enfin lu ton billet après avoir rédigé et publié le mien. Nous sommes totalement d’accord, ce qui m’étonne guère… 😉
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je viens de te lire 😉 elle est inoubliable, cette rencontre! Et comment rester insensible à un tel récit?
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