Les jours de Vita Gallitelli

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Connaissez-vous l’Italie du Sud?

Oubliez Naples, quittez la Campanie et roulez. Laissez la Calabre, abandonnez les Pouilles aux touristes, et arrêtez-vous un peu en Basilicate. Avec ses montagnes, ses plaines arides et calcaires, son climat chaud et sec, la Basilicate avait toute les prédispositions à la pauvreté qui la caractérise, tout comme ses voisines apulienne et calabraise.

Pas étonnant que neuf millions d’habitants de ce sud italien aient fui leur pays de 1871 et 1951.

Parmi eux, il y avait Vita Gallitelli.

Et c’est son histoire que raconte Helene Stapinski, son arrière-arrière-petite-fille.

S’il est totalement concevable que chaque américain s’interroge sur l’histoire qui a amené un jour sa famille en Amérique, certainement peu d’entre eux mènent une enquête aussi fiévreuse que celle d’Helene. Helene avait une raison bien précise de vouloir découvrir l’histoire de Vita: conjurer le sort qui pèse sur la légende familiale, avant qu’il n’atteigne ses deux enfants…

Journaliste, Helene Stapinski a grandi avec l’histoire racontée maintes fois par sa mère, l’histoire folle de son aïeule Vita arrivée en Amérique en 1892  avec ses deux fils – Vita aurait fui son sud italien natal après avoir tué un homme lors d’une partie de carte…

L’histoire aurait pu en rester là, comme une légende qu’on raconte aux enfants pour leur faire peur, sauf que les descendants de Vita, de petits larcins en crime, semblent avoir véhiculé la trace manifeste d’un gène du crime transmis par Vita, qui inquiète Helene eu égard à ses enfants. Et si eux aussi étaient porteurs de cette tare, évoquée dans des enquêtes journalistiques dont elle a eu connaissance ?

A 39 ans, à l’âge qu’avait Vita lorsqu’elle est arrivée à Ellis Island, Helene fait le voyage en sens inverse pour rejoindre la Basilicate et enquêter sur la fondatrice de ce mythe familial.

Qui était Vita, quel est ce crime qui l’a obligée à fuir son pays, qui était son mari, pourquoi disait-on d’elle que c’était une puttana, qu’en est-il de ce troisième fils que l’on dit avoir été perdu lors du voyage vers l’Amérique?

Pays du silence, la Basilicate ne livre pas aisément les secrets qu’elle garde bien trop jalousement dans l’omerta des familles taiseuses, à l’abri sur les étagères des casiers obscurs des archives, ou au fond des grottes qui autrefois servaient de culte ou d’abri… Il faudra beaucoup de persévérance, de coups de pouce du destin, de rencontres envoyées par le ciel pour assembler tous les morceaux qui ont construit la légende, rétablir des vérités, et pouvoir ré-écrire cette incroyable histoire familiale.

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Matera, Basilicate, 2015

Je vous le confesse, je  me suis embarquée dans cette histoire avec un manque d’objectivité total.

Les noms Basilicate, Matera, Bernalda sont auréolés de l’amour que je porte à cette région d’Italie, aride, rude, fièrement authentique – associés à l’idée d’une enquête historique, tous les ingrédients me semblaient parfaitement réunis pour en faire un moment de véritable délectation.

A ceux qui imagineraient une enquête ésotérique à la Dan Brown ou à la Frédéric Lenoir (voir chronique), nous n’en sommes pas loin!

Et même plus loin! Nous sommes dans le réel! Dans la vraie vie! Celle qui d’une dynastie qui prend vie avec la famille de Vita Gallittelli dans le terreau fertile de la campagne de Bernalda et dont les branches vont se ramifier jusque dans le New Jersey.

Et c’est exactement ce qui donne à ce livre un souffle romanesque époustouflant et captivant.

En tant que journaliste déjà rompue à un travail d’enquêtrice reconnu, Helene Stapinsky a su imprégner son récit de tous les ingrédients qui le rendent aussi passionnant qu’un roman, et ce en s’appuyant sur une documentation très dense (et notamment sur le célèbre Le Christ s’est arrêté à Eboli, de Carlo Levi qui jeta la honte sur l’Italie en dénonçant les conditions de vie hautement insalubres des habitants de Matera) , qui donne une vision historique concrète, foisonnante sur cette région miséreuse d’Italie, depuis sa naissance avec la tribu des Oenotres, l’arrivée des premiers colons grecs (Spartacus, Pythagore), dont on retrouve l’empreinte dans le physique particulier des habitants ou dans le patronyme répandu de Grieco, suivis par les Lombards, les Normands, les Aragonais, et autres envahisseurs, jusqu’à cette moitié de 19e siècle où Vita vit le jour, alors que la Basilicate faisait encore partie du royaume des Deux-Siciles.

Et surtout, elle s’attache à fouiller, interroger, comprendre qui était Vita et quelle fut sa vie en ce 19ème siècle primitif empreint de sorcellerie, de superstition, de féodalisme qui donnait aux patrons les droits les plus révoltants sur des familles qui leur étaient complètement assujetties. Dix ans seront nécessaires à Helene pour trouver les documents dans les archives, réunir les indices, faire de fausses routes, combler les trous, tomber de haut, parfois, quand la vérité est parfois encore plus brute qu’elle n’aurait osé l’imaginer, comprendre d’où elle vient avec l’espoir, peut-être, l’espoir de réhabiliter Vita et défier la malédiction de la tare génétique qu’elle imagine peser sur sa famille.

Si ce n’est pas un roman, bien que la trame romanesque soit nécessaire au récit pour lier les éléments récoltés au cours de l’enquête, c’est une époustouflante aventure dans laquelle on suit, de surprise en surprise, cette investigation familiale.

Comme dans beaucoup de familles d’immigrants, c’était grâce aux souffrances et aux vices d’un aïeul que ses descendants pouvaient vivre dans le confort et la vertu.

Je m’attache souvent à chercher la lecture adéquate pour un voyage, et j’aurais adoré découvrir Les jours de Vita Gallitelli lors d’un voyage dans le sud italien, tant les anecdotes qu’il raconte permettent de découvrir sous un prisme particulièrement riche (historique, gastronomique, géographique, culturel, linguistique,…) cette région dont on parle finalement trop peu, même si aujourd’hui une ville comme Bernalda (au demeurant pas franchement jolie) se trouve exposée au regard du monde grâce au retour de la famille Coppola sur les terres de ses ancêtres.

La qualité et la pertinence du récit m’ont embarquée dans cette formidable aventure généalogique, me rendant Helene et Vita particulièrement sensibles et attachantes.

En tant que journaliste et en tant qu’auteure, j’avais écrit dans ma vie des milliers d’histoires, mais aucune n’arrivait à la cheville de celle de Vita. La miseria, les enfants morts, ceux qui avaient survécu, le meurtre, le voyage jusqu’à Naples, puis la grande traversée jusqu’en Amérique. Comme des millions d’immigrants venus aux Etats-Unis dans l’espoir d’une vie meilleure pour eux et pour leurs enfants, Vita avait vécu une grande aventure, et cette aventure m’avait permis de vivre la mienne.

Alors oui, Les jours de Vita Gallitelli est un vrai coup de coeur, de ceux qui vous restent en tête un long moment, de ceux qui vous donnent envie de partir en voyage, de prolonger la lecture, et surtout de regarder en arrière, vers vos aïeux, vers ceux à qui on doit, souvent, une vie meilleure…

Titre: Les jours de Vita Gallitelli (Murder in Matera)

Auteur: Helene Stapinski

Editeur: Editions Globe

Parution: 30 mai 2018

10 réflexions sur “Les jours de Vita Gallitelli

  1. Je connais un peu la Basilicate, j’aime la beauté de Matera en tant que touriste, j’ai lu Carlo Levi il y a bien longtemps… Et tu me donnes une furieuse envie de lire ce livre. LamartineOrzo sur IG

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