Comme tout un chacun, je suis capable de me rappeler précisément le moment où j’apprenais l’attentat du Word Trade Center – un moment lié à une émotion intime, celle qui accompagne le bouleversement inéluctable de notre monde, de notre bulle, qui avant le 11 septembre 2001 nous paraissait tout simplement invincible.
Dans son nouveau roman, Fanny Taillandier nous fait revivre l’attentat, autrement que par le biais de ces écrans qui des jours durant, ont retransmis en boucle les images stupéfiantes des avions percutant les deux tours, avant qu’elles s’effondrent. Des images ineffaçables de l’inconscient collectif, à jamais gravées dans les mémoires intimes.
Ce jour du 11 septembre, William Johnson prend son service de chef de sécurité à l’aéroport Logan de Boston – dans la foule de l’aéroport, un certain Mohammed Atta arpente les couloirs, avant d’embarquer sur le vol AA 11 à destination de Los Angeles. Pendant ce temps, Lucy, brillante mathématicienne et soeur de William, atteint le Word Trade Center pour rejoindre le 102e étage de la Tour Sud. Ce matin-même, très tôt, leur père malade les a appelés pour leur annoncer qu’il allait mourir. Le choc de cet appel qui anéantit le frère et la soeur va être bientôt supplanté par le drame national auquel ils vont être parallèlement personnellement confrontés.
Je m’attendais à beaucoup d’émotion dans cette lecture.
J’attendais, je crois, de mesurer ma mémoire à ce récit imaginé de l’intérieur.
J’ai donc été (pardonnez le jeu de mot involontaire) déroutée par l’approche du roman, qui démarre en même temps que l’enquête. Documentaire, technique, cartographique. Sans émotion.
En choisissant de nous faire vivre le parcours du terroriste Mohammed Atta, Fanny Taillandier analyse d’un point de vue culturel, idéologique, et même architectural, le parcours et les raisons qui vont mener l’égyptien à rallier la cause d’Oussama Ben Laden.
Cette analyse m’a semblé souvent laborieuse, de par sa construction et de par sa longueur. Factuelle, froide, elle tient plus du documentaire, cartes à l’appui imprimées dans le récit.
Par conséquent, cette première partie du roman a été assez difficile à apprécier.
Au fur et à mesure de la journée, l’auteure nous invite toutefois davantage dans l’intime des personnages et le récit gagne en densité et en émotion. Qui sont William et Lucy, deux frère et soeur que tout oppose? Quels sont leurs drames personnels, lui le vétéran bouleversé par ses missions en tant que pilote de drones et analyste de cartes, elle la surdouée stigmatisée par le décès de sa mère à sa naissance? Ce sont évidemment leurs destins qui vont vraiment tenir le récit.
Lorsque nous regardons la liste des victimes de la catastrophe, en vérité, qu’est-ce que cela changera, qu’on y retrouve Lucy Bankowska Johnson ou pas? Les deux mille noms marqués à la suite, gravés par ordre alphabétique dans la pierre sombre comme ceux des héros que William contempla, ne diront rien d’autre que l’aléatoire de ceux qu’ils prétendront rappeler. On dit: deux mille morts. On dit: c’st plus que trois cents, mais c’est moins que dix mille. Et nous-mêmes, à regarder cela, avons la sensation de nous désagréger; le film nous fond les uns dans les autres. Habituellement nous pouvons changer de chaîne, nous distinguer. Autour de la terre, le film intime de nos journées s’est rompu dans l’explosion que nous avons regardée ensemble. Qu’est-ce que cela signifie, après tout, d’être quelqu’un? Quelle prétention dérisoire dans ces deux mots, qui ne désignent que l’indistinction. On est toujours quelqu’un; on n’est jamais personne.
L’histoire de Mohammed Atta, elle, m’a laissée de marbre. Je suis incapable de dépasser ce que m’inspire son acte, mais j’admire Fanny Taillandier d’avoir trouvé le courage à tenter de l’humaniser.
Un roman à côté duquel je suis malheureusement complètement passée, mais qui est brillant par son analyse et son écriture.
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Titre: Par les écrans du monde
Auteur: Fanny Taillandier
Editeur: Editions du Seuil
Parution: août 2018
Une réflexion sur “Par les écrans du monde”