Le monde se divise en deux: ceux qui idolâtrent Elsa Morante, et ceux qui ne la connaissent pas
Je fais partie des seconds – en dehors de son roman La Storia, connu pour la série télévisée éponyme, Elsa Morante restait pour moi un nom dans le paysage littéraire italien, une femme écrivain à découvrir. Ecrivain, car j’ai appris dans ce brillant roman de Simonetta Greggio qu’elle n’aurait pas encouragé les velléités de féminisation du langage: elle ne voulait pas être une écrivaine, mais un écrivain.
Ce que l’on appelle la nature féminine est assez suspect. C’est la raison pour laquelle je me revendique écrivain, et non écrivaine. Je ne joue pas dans les listes roses.
Dans Elsa mon amour, Simonetta Greggio donne voix donc à une Elsa Morante, au soir d’une vie qu’elle raconte par tranches, entourée de ses fantômes.
Dans la solitude de sa maison, la pluie tombe inlassablement – son chien Neve s’en moque, et les chats passent leur temps à dormir.
Elle, elle se souvient.
Elle égrène les noms, Moravia, Visconti, Pasolini, Saba, Penna, Bill, Fellini. Malaparte. Magnani. Et les autres.
Elle morcelle les souvenirs, de prime abord de façon déconcertante, un peu décousue pour le lecteur profane. Il manque les indices pour comprendre ce que nous raconte cette Elsa, beauté féline, libre et sensuelle, aux yeux émeraude et violets. Petit à petit heureusement, le jour se fait sur l’enfance et le secret des origines, le corps qui se transforme pour la sensualité, le mauvais caractère, l’amour avec Moravia, Rome la ville d’une vie, les rencontres, les autres hommes.
La joie était là, et la beauté, et nous y avions accès sans faire exprès. Je voudrais que ceux qui penseront à nous après notre mort sachent que nous avons fait l’amour, dansé, chanté et ri. Je voudrais que l’on se souvienne que nos corps étaient chauds, nos coeurs troublés, nos amours volées.
Et l’écriture – la grande histoire de sa vie. Encouragée dès la petite enfance par sa mère, publiée très jeune, écrire est vital, peu importent la guerre, l’exil, les maîtresses de Moravia, les amours frustrées, l’écriture restera au-dessus de tout et elle sera en 1957 la première femme à recevoir le prix Strega pour son roman L’Île d’Arturo.
J’écris depuis que j’existe. Avant de savoir écrire, j’écrivais déjà. J’étais écrivain dans le ventre de ma mère. Avant de naître, j’étais écrivain.
Après un démarrage exigeant, donc, le tourbillon nous aspire dans les passionnants récits des personnages hors norme qui ont accompagné Morante: la fuite avec Moravia pour éviter la déportation, les histoires de Malaparte (et ce sentiment d’être nous aussi dans la villa Come me sur les hauteurs de Capri) et Pasolini, la découverte de l’artiste débordante de sensualité Leonor Fini, sa relation sadomasochiste avec Luchino Visconti – Elsa Morante avait le malheur de tomber amoureuse d’hommes qui n’aimaient pas les femmes. Visconti aura été particulièrement épouvantable.
Simonetta Greggio interroge l’écriture:
Le roman, ça fait peur. On ne s’en tire pas avec la simple intelligence, il faut accepter de se laisser tomber dans le vide et croire que les anges vont vous apprendre à voler pendant la chute
Mais elle provoque également une profonde envie de découvrir Morante, mais aussi Curzio Malaparte: « Nous nous arrêtâmes à Naples. il faut avoir lu La peau de Malaparte pour comprendre ce qu’était alors la ville » – voici donc le premier livre que je glisserai dans ma valise cet été pour mes vacances napolitaines.
Titre: Elsa mon amour
Auteur: Simonetta Greggio
Editeur: Flammarion
Parution: 2018
J’ai bcp aimé ce livre
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Je me rends compte qu’il me suit depuis que je l’ai refermé. Elsa Morante a bien occupé mes pensées ces derniers jours. Pourtant, comme je le dis dans ma chronique, j’ai eu un certain mal à entrer dedans, il me manquait des clés – mais s’accrocher en valait la peine
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