Procida – c’est une petite île plongée dans les eaux bleu marine de la baie de Naples, où le bateau fait escale quand il rejoint chaque jour Ischia.
C’est l’Île d’Arturo.
L’île d’Arturo est un livre sauvage, à la fois conte et roman d’apprentissage, aux airs de robinsonnade: Arturo a grandi seul en petit sauvageon, à moitié vêtu et allant nus pieds, poussant sans entrave comme les herbes folles de cette île qu’il a faite sienne.
Sa mère est morte en enfantant, et son père est parti courir le monde, ou autre chose, abandonnant le bébé à Silvestro le cuisinier-nourrice, dans sa Maison des « guaglioni », un palazzo croulant dont la légende sulfureuse fdit qu’il est interdit aux femmes.
Silvestro parti, livré à lui-même, mais libre et heureux, Arturo explore inlassablement son île, plonge dans ses eaux, manie la barque dès son plus jeune âge, et guette, chaque jour, le bateau de Naples qui ramènera son père au gré d’escales plus ou moins longues. Wilhelm Gerace, ce père aussi blond qu’Arturo est brun et moricaud, est le héros fantasmé du jeune garçon – tandis que sa mère reste la blessure d’une grande absence.
Une mère était quelqu’un qui aurait attendu à la maison mes retours, en pensant à moi jour et nuit. Elle aurait approuvé tout ce que je disais, loué toutes mes entreprises et vanté la beauté supérieure des bruns, aux cheveux noirs, de taille moyenne et même peut-être au-dessus de la moyenne .
La vie d’Arturo change l’année de ses quatorze ans, lorsque son père ramène de Naples sans prévenir une toute jeune épouse, pas beaucoup plus âgée qu’Arturo.
Avec elle, il doit désormais partager son héros de père et faire fi de ces projets d’aventure qu’il avait imaginé à ses côtés. Au premier sentiment de jalousie succède le trouble du garçon, perdu entre la recherche de l’amour maternel dont il a manqué, et l’émoi amoureux qui va se transformer en amour impossible. Livrés à eux-mêmes dans l’immense maison vaisseau fantôme, suspendus aux retours imprévisibles du mari et père absent, la tension entre la belle-mère et son beau-fils grandit.
Mais le fait le plus étrange et que je n’ai pas encore dit, c’est ceci: moi-même, en sa présence, j’avais peur!
Je dis peur parce que, alors, j’aurais été incapable de définir mon trouble par un mot plus exact. Bien que j’eusse lu des livres et des romans, même d’amour, j’étais resté en réalité un petit garçon à demi barbare; et peut-être mon coeur profitait-il, à mon insu, de mon immaturité et de mon ignorance pour me défendre contre la réalité?
Au monde innocent de l’enfance succède, comme une douche froide, la perte des illusions tandis qu’Arturo découvre la trahison, la cruauté des adultes et que les voiles se lèvent sur les secrets.
Nourri de livres, d’histoire et de légendes, dans le refuge de son île, Arturo saura-t-il quitter Procida et affronter le monde qu’il ne connaît pas?
En somme, je connaissais l’histoire depuis les temps des anciens Egyptiens, les vies des plus insignes Grands Capitaines et les batailles de tous les siècles passés. Mais je ne savais rien de l’époque contemporaine. Quant aux quelques signaux de l’époque présente qui parvenaient jusqu’à l’île, je les avais à peine entrevus et ne leur avais pas prêtera moindre attention. L’actualité n’avait jamais excité ma curiosité. Comme si tout, en dehors de l’Histoire fantastique et des Certitudes Absolues, n’eût été que banals faits divers de journal.
Poétique, sensuel, onirique, l’Île d’Arturo – Mémoires d’un adolescent (récompensé par le prix Strega en 1957) est un récit sur l’univers merveilleux de l’enfance et l’initiation cruelle au monde adulte.
Elsa Morante a mis son sens aigu de l’observation au service de descriptions d’une précision extrême – que ce soit dans les personnages ou dans la beauté sublime de Procidia dont les descriptions sont une véritable invitation au voyage – des quais du port jusqu’aux plages sauvages, à travers les sentiers pentus de l’île, et avec pour toile de fond le pénitencier (personnage à part entière du roman) qui veille comme une vigie.
Le roman est porté par une beauté et une profondeur littéraire qui confirme la filiation d’une auteure italienne à succès dont même le pseudonyme n’est pas sans se revendiquer de la grande écrivaine, j’ai nommé Elena Ferrante.
Pour découvrir davantage Elsa Morante, n’hésitez pas à aller découvrir le roman que lui a consacré Simonetta Greggio l’an dernier, Elsa mon amour.
Titre: L’île d’Arturo (L’isola di Arturo)
Auteur: Elsa Morante
Editeur: Gallimard
Parution: 1957 (France 1963)