Vous aussi, vous avez certainement déjà commencé un livre sans savoir où il vous emmenait, mais vous avez continué à tourner les pages, attendant le moment où l’histoire allait bien pouvoir s’installer. Et quand vient ce moment, vous ne pouvez plus lâcher le livre.
C’est ce qui m’est arrivé avec le nouveau roman de Paula Mc Grath. Trois personnages, deux époques.
Quel est le lien entre ces trois femmes?
Quel est le lien entre ces deux pays, l’Irlande du Nord d’un côté, les Etats-Unis de l’autre?
Il y a trois femmes, donc.
La première est gynécologue et s’interroge sur son avenir professionnel et sentimental, l’un est l’autre allant de pair. Quitter Dublin pour Londres et abandonner sa mère, malade d’Alzheimer?
La seconde a 16 ans, sa mère vient de mourir et elle se retrouve seule au monde – pas tant que ça, puisque des grands-parents inconnus lui tombent dessus sans crier gare. Elle prend la fuite avec un gang de bikers, mais est-elle à l’abri à leurs côtés?
La troisième a 17 ans, elle a fui l’Irlande pour Londres en rêvant à une carrière de danseuse, mais des mauvaises rencontres et la peur de basculer du mauvais côté la font revenir à Dublin – elle a abandonné l’école, trouvé un petit boulot qui lui permet de vivre dans une chambre sordide mais elle est libre. Et surtout, elle découvre la boxe aux côtés de Georges, un étudiant médecine. De lui, elle apprendra la discipline, l’endurance, et l’idée qu’il faut oser rêver – même si la boxe n’est pas un sport de filles.
Evidemment, le lien va se dessiner doucement, mais on n’y pensera plus, car on plonge intégralement dans le récit de ces femmes, dans les problématiques sociétales propres à l’Irlande auxquelles, chacune à sa façon, va être confrontée. Parmi ces problématiques, il y a évidemment l’interdiction de l’avortement, que l’une va combattre et une autre subir – chacune portant le même poids, le même héritage: la nécessité de fuir.
Crédit photo ©Kasia Strek pour Polka magazine
27 mai 2018, quartier de Portobello, Dublin
Savita, victime de la loi contre l’avortement en 2012 – le 27 mai 2018 un référendum a abrogé avec 66% le 8ème amendement de la constitution qui interdisait l’avortement en Irlande
Elle n’a pas prêté attention au référendum, et bien qu’elle ait eu dix-huit ans, elle ne s’est pas donné la peine d’aller voter. Parfois, elle a le sentiment d’avoir passé sa vie à essayer de se racheter, comme si son seul vote aurait pu faire la différence. Mais malgré les coups de téléphone, les lettres, les réunions, les rapports, ses collègues et elle sont dans la même position depuis 1983. La loi est la loi, et aucun d’eux ne veut se retrouver en prison pour avoir pratiqué un avortement dans le but de sauver la vie d’une femme.
La fuite en héritage est un roman choral qui explore avec discernement la psychologie de ses personnages, et qui s’attache à ausculter les liens familiaux, la transmission, et les relations mère-fille – la figure maternelle, grande absente, plane pourtant sur le destin de ces femmes.
J’ai été sensible à cette histoire, portée avec intelligence par Paula Mc Grath.
Comme moi, vous aviez peut-être découvert l’auteure irlandaise avec son premier roman, Génération – celui-ci n’était, à mon goût, pas assez abouti, laissant en plan des personnages qui étaient pourtant partie intégrante de l’histoire. Je craignais qu’il en soit de même avec ce second roman, mais il n’en fut rien, bien au contraire. Son histoire m’a accompagnée un long moment après avoir refermé le livre – signe manifeste d’une lecture qui m’a particulièrement touchée.
Titre: La fuite en héritage (A History of running away)
Auteur: Paula Mc Grath
Editeur: Editions de la Table ronde
Parution: 22 août 2019