C’est une nouvelle écrite en 1952.
Sylvia Plath a vingt ans, et elle est alors étudiante au Smith College, près de Boston.
Un an plus tard, elle traversera un lourd épisode dépressif où s’exprimeront ses pulsions suicidaires, épisode qu’elle narrera plus tard dans La cloche de détresse.
Peut-elle imaginer qu’elle n’a plus que onze années à vivre?
Dans cette nouvelle, déjà, Sylvia Plath explore les recoins sombres de ses pensées.
Son héroïne, Mary Ventura, est sur le quai d’une gare, accompagnée de ses parents.
Il règne une urgence, qui pulse comme le néon rouge clignotant sur le quai, comme la voix qui enjoint les voyageurs à rejoindre leur train. Une urgence qui émane aussi des parents de Mary, pressés de laisser leur fille à son voyage, sans beaucoup de démonstrations affectueuses.
Le rouge pulse partout dans cette nouvelle, comme une alerte, un danger – le rouge à lèvres de la mère, comme pour crier un signal. Le rouge du manteau de Mary, comme un drapeau. Le rouge au visage d’une voyageuse essoufflée. Le velours rouge des banquettes du wagon-bar qui invite à la volupté. Le soleil, même, est d’un rouge incandescent dans le ciel tandis que le train file.
Vers où file-t-il? Marie sait juste qu’elle devra descendre à la dernière station, comme le lui a indiqué son père.
Sylvia Plath
Tandis que Mary s’alanguit dans le confort du voyage, en compagnie d’une femme âgée qui semble l’avoir prise sous son aile, l’atmosphère se fait de plus en plus oppressante. Pourquoi Mary ne s’est-elle posé aucune question sur sa destination, faisant confiance aveuglément à ses parents?
Ce voyage en train n’est ni plus ni moins que le parcours initiatique d’une jeune fille qui, arrivée à un carrefour de sa vie, doit prendre conscience, brutalement, qu’elle est livrée à elle-même.
Sylvia Plath avait qualifié cette nouvelle de « vague conte gothique ».
Aujourd’hui, on pourrait dire la qualifier de dystopie (mais faut-il toujours vouloir mettre dans des cases?), aux accents hitchcockiens – Sylvia Plath n’a pas seulement créé une histoire oppressante, cette nouvelle est également très cinématographique, avec les signaux de couleur rouge qui palpitent, des mots qu’on perçoit comme des alertes potentielles, des regards qu’on voit s’échanger, et une scène finale digne d’un bon thriller.
Pour aller plus loin, cette nouvelle revêt même un caractère mythologique: on pourrait voir en Mary une Iphigénie, enfant sacrifiée, qui croiserait Artémis, ou comprendre ce voyage comme la traversée du Styx, avec Charon qui tient la barre sous les traits d’une vieille femme.
Inédite dans cette version originale jusqu’à sa publication l’an dernier, « Mary Ventura et le neuvième royaume » nous offre une facette plus juvénile de Sylvia Plath, mais qui contient déjà les prémices de son oeuvre.
Bravo aux éditions La Table Ronde pour cette collection La Nonpareille qui a vocation à publier quatre fois par an des nouvelles inédites.
Titre: Mary Ventura et le neuvième royaume
Auteure: Sylvia Plath
Editeur: La Table Ronde collection La Nonpareille
Parution: 2019