La Cloche de détresse

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Quelques vers échappés d’un livre d’anglais de classe de cinquième, dont les mots disparus depuis longtemps ont pourtant laissé une trace sibylline dans mon esprit.

Des vers, nous avait-on expliqué, d’une poétesse qui avait choisi la mort, très jeune. Je me souviens que les vers étaient limpides, simples, et que je m’étonnais que cela puisse être de la poésie.

J’ai toujours gardé Sylvia Plath dans un coin de ma tête. A la librairie Lello à Porto, tombant sur un livre de correspondance de Sylvia Plath (The Letters of Sylvia Plath Volume 1: 1940-1950) j’ai été subjuguée par la photo de couverture, qui tient plus de la pin up des fifties que de la poétesse torturée. Je voulais ce livre, comme l’aboutissement d’une quête que je ne savais décrypter. Je l’ai finalement reposé.

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Lorsque je suis tombée sur La Cloche de détresse, la semaine dernière au Festival America, j’ai su que c’est par là que je devais commencer. Paru peu de temps avant sa mort, La Cloche de détresse est son unique roman, publié sous pseudonyme, et il est très largement inspiré de la vie de son auteure.

A travers l’histoire d’Esther Greenwood, c’est l’histoire de ses propres conflits intérieurs que Sylvia Plath raconte.

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Une jeune fille particulièrement brillante et qui n’aspire qu’à vivre de son écriture et devenir poète, mais que la société américaine des années 50 veut réduire à la convention du mariage.

A l’occasion d’un stage d’été dans un journal féminin new-yorkais, en plein rêve américain pour des milliers de jeunes filles, Esther comprend qu’elle ne va pas bien. Est-ce la touffeur de l’été, la promiscuité avec les onze autres lauréates dans l’hôtel où elles sont logées, cette vie de mondanités remplie de cadeaux auxquels elles ont droit? Est-ce la condamnation à mort des Rosenberg par électrocution qui fait la une des journaux? Esther se questionne sur ses aspirations à écrire, sur la place que la société lui offre, sur son rapport avec les hommes, la sexualité et la virginité.

Cela me semblait une vie triste et gâchée pour une jeune fille qui avait collectionné les meilleures notes pendant quinze ans. Mais je savais que c’était ça, le mariage. Cuisiner, nettoyer et laver, voilà ce que la mère de Buddy Willard faisait du matin au soir. Elle était femme d’un professeur d’université, et avait elle-même enseigné dans une école privée.

A son retour chez sa mère à Boston, un abattement sans précédent s’empare d’elle, annihilant soudainement ses envies d’écriture et de lecture, et ne laissant plus de place qu’à une envie dévorante de mourir.

Le médecin qu’elle consulte recommande bientôt le traitement alors en vogue, les électrochocs – dont elle ressortira complètement anéantie et encore plus en proie à des idées noires.

Une disparition ultra-médiatisée et un suicide raté plus tard, Esther va être internée dans une clinique, où elle va peu à peu émerger de sa torpeur, bien qu’elle soit terrorisée à l’idée de subir à nouveau des électrochocs, auxquels elle n’échappera pas après un traitement à l’insuline qui se sera révélé inefficace. Cette fois-ci pourtant, le traitement fonctionnera, au moins le temps d’une rémission, et Esther pourra finalement poursuivre ses études à l’université

La dernière exclamation joyeuse de Valérie avait été « Au revoir! A un de ces jours! », et j’avais pensé: « Pas si cela dépend de moi… »

Mais je n’en étais pas certaine. Pas du tout. Comment savoir? Peut-être qu’un jour – à la fac, en Europe, quelque part, n’importe où – la cloche de verre, avec ses distorsions étouffantes, descendrait de nouveau sur moi?

Quelle lecture ! Evidemment, Esther / Sylvia restera un être torturé, qui dix ans plus tard, alors mère de deux jeunes enfants et séparée de son mari le poète Ted Hughes, se donnera la mort la tête enfoncée dans sa gazinière – elle avait déjà précédemment démontré une imagination assez vive sur les méthodes de suicide.

Qu’est-ce qui révolte le plus? Qu’un tel talent ait été brisé en plein vol? Qu’elle n’ai pas pu être sauvée à une époque où les médecins ne savaient lutter contre les maladies psychiatriques qu’à coup d’électrochocs ou de lobotomie? Sont-ce ces traitements atroces (ELECTROCHOCS! LOBOTOMIE!) dont on sait maintenant combien ils sont nocifs? Sylvia Plath aurait-elle eu plus de chances de s’en sortir si elle était née plus tard et qu’elle avait pu bénéficier de traitements plus adéquats? Mais aurait-elle été alors une légende?

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Ce qui surprend le plus, peut-être dans ce roman, c’est la modernité sidérante qui en ressort. Est-ce lié à la traduction révisée (dépoussiérée?) de Caroline Bouet? Car s’il n’y avait pas de temps en temps des détails légèrement anachroniques, rien ne laisserait penser que ce roman a été écrit il y a presque soixante ans.

Quelle justesse, quel humour, quelle noirceur, mais aussi quelle poésie s’en dégagent!

Ma fascination pour Sylvia Plath ne fait que commencer.

 

★ ★ ★ ★ ★

Titre: La cloche de détresse (the bell jar)

Auteur: Sylvia Plath

Editeur: Editions Denoël

Parution: 1972, 2014

3 réflexions sur “La Cloche de détresse

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