Le style de Marie Laurencin a souvent été qualifié de mièvre, même de son vivant.
Il faut dire qu’elle avait adopté un style plutôt naïf pour peindre inlassablement l’univers de son enfance « des contes de fées, des filles aux yeux de biche et des biches au regard humain » dans une palette de gris, blancs, bleus et roses.
Et puis, paix à son âme, Joe Dassin n’a pas arrangé son cas en l’évoquant dans L’été indien ( « Avec ta robe longue tu ressemblais à une aquarelle de Marie Laurencin » – pendant que derrière la voix grave de Jo, les choeurs langoureux susurrent: la la la la la la …).
De là à croire que Marie Laurencin était une gentille fille, il n’y aurait qu’un pas. Et c’est bien là que ça devient intéressant – tout comme sa peinture (que j’adore) quand on la regarde de plus près. Car s’il y a bien un personnage aussi ambigu que complexe, c’est celui de Marie Laurencin.
Par sa naissance, déjà (fille naturelle d’un député et d’une couturière normande, elle côtoiera son père en apprenant seulement à sa mort qu’il est son géniteur), mais aussi par son parcours: très tôt, Marie sait qu’elle veut peindre. Elle ne sera pas une petite institutrice rangée comme sa mère l’aurait souhaité. Elle entre à l’Académie Humbert – discrète, solitaire, sauvage, où elle va faire des rencontres déterminantes.
Claude Lepape et Georges Braque la prennent sous leur aile. Braque lui présentera Picasso, qui lui présentera Guillaume Apollinaire – la suite, nous la connaissons. Il sera un de ses grands amours, jusqu’à ce qu’ils se déchirent l’un l’autre – mais il restera de leur histoire de magnifiques poèmes dont ces vers mélancoliques de rupture : « Passent les jours et passent les semaines Ni le temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure ».
Marie découvre le Bateau-Lavoir et la bohème de Montmartre. Et elle peint. Après le fauvisme découvert à ses tout débuts, c’est le cubisme qui influence sa création.
De cette bohème, Marie acquiert une grande liberté. Pas seulement dans ses amitiés, mais aussi dans ses amours. Un vent de liberté sexuelle souffle, Marie débute une relation charnelle avec Nicole Groult, considérée avec indulgence par les compagnons de chacune.
Marie Laurencin fera souvent des choix qui pourraient la perdre – elle épouse le baron allemand Otto von Wätjen et prend la nationalité allemande avant que la guerre éclate en 1914. Enorme erreur… Pire, lorsque la seconde guerre mondiale arrive, elle devient antisémite et n’hésite pas à soutenir l’occupant allemand. Mais toujours, à l’image des biches de ses tableaux, elle saura rebondir avec légèreté, et continuer à mener son oeuvre, un jour adulée, le lendemain jugée démodée par ses contemporains.
Isaure de Saint Pierre brosse ici un portrait très documenté et résolument passionnant de la vie de Marie Laurencin, mais aussi de toute la scène artistique de son époque. C’est une personnalité assez antipathique qui apparaît à travers les lignes (mais je dois reconnaître n’avoir jamais lu nulle part que Marie Laurencin évoquait immédiatement la sympathie) et le caractère léger, voir superficiel de sa personnalité interroge beaucoup au regard de son oeuvre. L’auteure fait aussi place à la création de la peintre en évoquant de nombreux tableaux, son évolution à travers les différents courants du début du 20ème siècle, ainsi que ses travaux d’illustration, de décors et de costumes de ballets.
Si vous souhaitez en savoir davantage sur Marie Laurencin, J’ai un tel désir de Françoise Cloarec, vous plaira sûrement!
Titre: Marie Laurencin, la féerie
Auteur: Isaure de Saint-Pierre
Editeur: Abin Michel
Parution: 2019