La Pâqueline ou les mémoires d’une mère monstrueuse

roman d'Isabelle Duquesnoy, La Pâqueline ou les mémoires d'une mère monstrueuse

A la sortie de L’embaumeur en 2017, sous les lumières tamisées d’un début de soirée au café Zimmer (ah! se rencontrer dans un café était si naturel en ce temps-là), Isabelle Duquesnoy avait confessé que son Embaumeur aurait probablement une suite… chaque personnage du roman vivait déjà indépendamment des autres à travers un vade-mecum que l’auteure avait écrit pour chacun, en amont de son travail. Bref, elle avait déjà là toute la matière à sa future suite.

Mais plutôt que de nous offrir une suite en bonne et due forme des aventures de Victor Renard, Isabelle Duquesnoy a choisi de nous donner des nouvelles de son héros à travers la Pâqueline, son odieuse mère que nous avions détestée pendant 520 pages. Il faut dire que notre pauvre Victor, qui a échappé par on ne sait quel miracle à la guillotine, croupit dans les geôles parisiennes et sa vie y est bien moins foisonnante qu’au fond de son cabinet d’embaumement!

De personnage secondaire, la Pâqueline devient donc figure principale, remontée contre son fils Victor qui, avec sa condamnation, a ruiné sa réputation (qui n’était déjà pas fameuse). 

Toujours aussi sûre d’elle, et persuadée que Victor lui doit sa réussite et donc sa fortune, elle va récupérer son dû en s’installant chez son fils emprisonné, son paon adoré au croupion déplumé sous le bras, bien décidée à se venger de son infâme rejeton. 

Et comme dilapider sa fortune en dépouillant son appartement et en revendant les objets et meubles un par un ne suffit pas, elle décide de re-décorer le logis de Victor en écrivant son histoire sur les murs de chaque pièce…

En partant du postulat que derrière chaque bourreau se cache une victime, on peut imaginer que la vie qui a fait de Pâqueline cette mère toxique et maltraitante, n’a pas été bienveillante avec elle… et c’est en nous emmenant sur les chemins de son enfance sous Louis XV que son histoire va prendre toute sa dimension. Jusqu’à nous faire éprouver de l’affection pour cette marâtre… mais la Pâqueline reste la Pâqueline, et sa nature sans pitié reprend toujours le dessus. Et là, je peux vous garantir que Victor va passer pour un enfant de choeur à côté de sa mère, qui n’est pas seulement sans scrupules mais surtout sans sentiment et (presque) dénuée d’humanité.

La silhouette de Pâqueline sillonna entre les établis de travail; ici, un ouvrier assemblait deux morceaux de cuir crème, en forme de main.

– Une paire de gants, montra-t-il fièrement. Un beau cuir de femme, souple et aisé à coudre.

Le commanditaire, raconta l’employé, était un ancien marchand de bois reconverti dans la traque de condamnés en fuite, qui ne cachait pas son attrait pour les foucades coûteuses issues de ses chasses personnelles; il affectionnait le cuir de prostituée, enduit de graisse d’essieux, et s’était montré pressé de couler ses doigts dans cette paire de gants taillés dans une peau de putain.

Alors parfois, on peut se dire qu’elle pousse le bouchon un peu loin, Isabelle Duquesnoy. Mais à ce moment-là on l’imagine pouffer de rire en écrivant, la facétieuse historienne : on sait très bien qu’il y a toujours un vernis de vérité dans ses propos, et c’est bien pour cette raison que ses récits nous fascinent, à glisser la petite histoire, aussi sordide soit-elle, dans la grande.

Tout comme « L’embaumeur », « La Pâqueline ou les mémoires d’une mère monstrueuse » est totalement cinématographique. Isabelle Duquesnoy a ce don pour planter un décor, costumes compris (mode Directoire cette fois-ci) – on se prend la puanteur et la crasse de ce Paris 1798 en pleine figure.

Bien que proche des quartiers prospères, ce cimetière Vaugirard, deuxième du nom depuis que l’on avait agrandi sa surface, était occupé par des familles modestes. Elles vivaient ainsi dans le jardin des morts, dont la grille restait béante jour et nuit. Les femmes y faisaient sécher leur linge, plantaient des légumes entre les stèles inclinées par les intempéries, et récoltaient les fruits des arbres enracinés autour des dépouilles. Il n’était pas rare d’y croiser des animaux de pâture.

On retrouve la langue truculente qui nous avait séduit précédemment, avec des dialogues où l’on sent que l’écrivaine prend un plaisir infini.

On découvre une Pâqueline et feu son Johann plus incarnés et moins caricaturaux que dans L’Embaumeur. Malgré des moments graves, il se dégage du roman une tendresse nouvelle, un air un peu léger et parfois même assez burlesque. Rassurez-vous, vous aurez des nouvelles de Victor, et je pourrais même imaginer qu’il revienne dans un troisième volume, pour de nouvelles histoires.

Le plaisir de lire cette conteuse insatiable qu’est Isabelle Duquesnoy reste intact, et on n’a qu’une envie: qu’elle continue à nous raconter l’Histoire comme elle y excelle.

A lire également, l‘interview d’Isabelle Duquesnoy, réalisée à la sortie de L’embaumeur.

Titre: La Pâqueline ou les mémoires d’une mère monstrueuse

Auteur: Isabelle Duquesnoy

Editeur: Editions La Martinière

Parution: janvier 2021

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