L’embaumeur ou l’odieuse confession de Victor Renard

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Paris, fin du 18ème siècle – les lendemains de la révolution chantent les têtes royales tombées.

Le roman débute avec la première journée d’audition de Victor Renard, face à ses juges. Lui aussi risque la guillotine qui a tranché la tête des aristocrates, alors qu’il n’est qu’un jeune homme de pauvre condition. Quel est son crime? Dans une longue confession, qui durera les onze jours de son audition, Victor Renard déroule le fil de sa vie jusqu’au jour fatidique de son crime…

Notre pauvre héros n’est pas né sous les meilleurs auspices: arrivé au monde laid et le cou tordu, il a malencontreusement étranglé son frère jumeau avec son cordon ombilical à la naissance. Maltraité par sa mère, une femme odieuse qui trouve tous les prétextes pour le détester, et par son père, musicien de paroisse qui mourra l’année de ses 15 ans mais continuera à révéler les petits secrets consignés dans son carnet, Victor va réussir malgré ses handicaps et les persécutions de sa mère à s’élever socialement en devenant embaumeur…

Paris regorge de morts, des bébés, des jeunes, des moins jeunes, assassinés, morts de mort naturelle… et en ces temps où les chambres froides n’existent pas, l’embaumement est la seule manière de conserver plus longtemps, parfois pour leur garder leur dignité après le trépas, parfois en espérant l’éternité, tous ces corps puants, putrides, coulant de fluides… Tout cela pourrait dégoûter n’importe qui, mais pas Victor Renard. Après avoir appris méticuleusement son art auprès de son maître Monsieur Joulia, Victor va ingénieusement faire prospérer l’affaire, s’élever socialement et s’enrichir, tout en devenant un expert dans sa science. Mais en ces temps troubles, les dangers viennent de partout, surtout lorsque l’on exerce un métier aussi morbide que secret… et sans compter les femmes, qui de sa mère à sa femme (épousée contraint et forcé) sont bien décidées à lui rendre la vie impossible tout en abusant de sa richesse nouvelle. D’autant plus qu’aux deux premières s’ajoute Angélique, jeune prostituée et grand amour de Victor, qu’il va prendre pour maîtresse…

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520 pages dévorées en 2 jours, un véritable coup de cœur. A  certains égards (la période historique, la maltraitance de l’enfant, et bien sûr le côtoiement des cadavres) ce livre m’a évoqué un roman qui a eu en son temps un grand succès: Le Parfum, de Patrick Süskind. Mes comparaisons s’arrêtent là car mon souvenir en est assez flou. Toutefois, l’histoire de Victor Renard, plus réaliste et surtout plus avérée que celle de Jean-Baptiste Grenouille, a aujourd’hui, et de loin, ma préférence.

J’ai envie de vous dire « pauvre Victor Renard », affublé depuis toujours des surnoms les plus cocasses par sa mère (Victordu, Victorgnole, Victorchon, Victortillon, …), maltraité et mal aimé depuis toujours:

– La vie est mal foutue, soupira ma mère. Elle voulait des enfants, moi pas.

– Alors, pourquoi regrettez-vous autant Isidore?

– Je te défends d’en parler! S’il avait survécu, au moins, je n’aurais pas eu à m’embêter avec toi! Des jumeaux, c’est formidable: tu les assois dans un enclos toute la journée, l’un en face de l’autre, ils se font miroir et s’occupent… Au lieu de cela, j’ai dû arrêter mon art pour te regarder baver dans ta purée, c’était d’un ennui que tu ne peux pas imaginer. J’allais devenir la nouvelle Clairon et tu m’as coupé la chique!

On éprouve d’emblée une empathie réelle pour ce Victor Renard, qui semble surtout être une victime –  il nous paraît attachant malgré ses travers, son physique peu avenant. Aussi revient sans cesse cette lancinante question: « quel peut donc être ce crime qui va le condamner à la guillotine? »

On devine que le métier sulfureux de Victor est à l’origine de son acte, d’autant qu’il n’éprouve aucune répugnance, aucun dégoût dès que commence l’enseignement de M. Joulia. Bien au contraire, c’est un monde empli de fascination qui s’ouvre à lui:

J’ouvris les deux havresacs et me liai d’amitié avec les pinces, les écarteurs et les crochets de la trousse de cuir roulé. Le second bagage contenait un flacon vide et des fioles étiquetées de noms poétiques: désinfectant, fluide humectant, fluide d’injection, liquide d’arrangement, ainsi que des étuis de pommades blanches et cramoisies.

 

Les morts refroidis me procuraient un sentiment de bien-être inexplicable. Je me sentais à la fois investi d’une mission sacrée et d’un pouvoir surhumain.

Un monde qui se révèle encore bien plus morbide qu’il ne l’est déjà: au-delà des pratiques d’embaumement décrites, du commerce d’organes déjà en pratique, on y découvre l’utilisation avérée, par de grands peintres, de pigments issus des cœurs embaumés des têtes couronnées de l’ancien royaume! Isabelle Duquesnoy a fait un véritable travail de recherche à ce propos, aussi glaçant que fascinant. Comment imaginer que certains tableaux de nos rois de France portent à leur insu la trace de leur propre cœur?

Le roman prend place dans une reconstitution historique foisonnant de détails, très cinématographique,  un Paris du 18 ème siècle qui interpellera le lecteur.  On assiste au passage, l’air de rien, à l’exécution de Louis XVI, et même à l’autopsie de Louis XVII!

L’écrivaine use d’une langue à la fois opulente, truculente et alerte, particulièrement dans les dialogues, à même de nous faire ressentir l’ambiance historique et incarner les personnages dans leur époque.

Bref, ce roman est une pépite, un bijou littéraire, tant du point de vue de l’intrigue, que du contexte,  que de la langue. Seule une passionnée d’Histoire pouvait nous offrir un tel ouvrage.

Isabelle Duquesnoy est restauratrice d’œuvres d’art entre la Basse-Normandie et la Corse. Elle s’est fait connaître comme auteure avec son premier roman Les Confessions de Constance Mozart. L’Embaumeur est le fruit de dix ans de travail, dix ans où elle ne s’est pas souciée de savoir s’il serait publié. Est-ce le secret des grands écrivains?

Titre: L’Embaumeur ou l’odieuse confession de Victor Renard

Auteur: Isabelle Duquesnoy

Editeur: Editions de la Martinière

Parution: 17 Août 2017

22 réflexions sur “L’embaumeur ou l’odieuse confession de Victor Renard

  1. te voilà bien emballée ! juste une petite remarque : j’ai trouvé le dialogue (avec la mère) extrêmement moderne or l’action se passe au 18è S. J’ignore si je suis claire dans mes propos. Sinon, je le note – il me tente bien celui-ci !

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    1. La langue dans le roman est très intéressante. Je pense que l’auteure a essayé de trouver un juste milieu pour coller à la fois au 18ème tout en restant compréhensible pour des lecteurs du 21eme siècle . Tu imagines sinon, du vieux français… il nous faudrait un décodeur 😂 oui ce dialogue est plutôt « moderne » mais je voulais illustrer ici la relation mère / fils donc mon choix linguistique est passé au second plan. Le SP définissait la langue utilisée de rabelaisienne et ça va bien dans ce sens… En tous les cas, oui, je suis extrêmement enthousiaste sur cette lecture ! 🙂

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  2. Comment résister?! Tant le sujet que ce type de personnages (le genre singulier qui sort son épingle du jeu) m’intéressent. Je le commande illico. Je compte le lire dans les vacances de Noël. 520 pages (que je ne pourrai pas lire en deux jours, moi).

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      1. C’est le service de presse des éditions de la Martinière qui m’a proposé des titres pour la rentrée littéraire, et je t’avoue que lorsque j’ai lu le résumé j’ai tout de suite eu envie de le lire. Mon goût pour les romans historiques, les personnages hors norme, l’histoire dans l’Histoire, et surtout le 18ème siècle.

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    1. Tu sais, lorsque tu es pris par une telle histoire, surtout en période de vacances, c’est l’immersion totale et 2 jours de lecture sont faciles! Je suis tellement heureuse que cette chronique t’aie convaincue! Ce roman a tant de qualités!

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  3. Oui, j’aime la préciosité du 18e siècle dans le corps de texte, et je réserve les débordements de langage à mes dialogues… Le contraste entre les deux est un exercice qui m’amuse et l’ensemble forme un texte qui, parfois déclenche le rire, parfois distille le bourdon.
    C’était un petit coucou en passant sur votre blog, dont je salue les habitué(e)s bien chaleureusement !
    Isabelle Duquesnoy

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    1. Et quel exercice! La langue est finalement un personnage à part entière dans votre roman, et pas le moindre! Elle se déguste tout autant que l’histoire et justifie au-delà de l’intrigue mon immense coup de cœur pour votre roman! Merci chère Isabelle d’être venue me rendre visite sur le blog! Sentez-vous ici chez vous… A très vite! Sonia

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  4. L’époque historique me tente carrément ! Mais j’avoue que je redoute un peu de lire tout ce qui est lié aux cadavres. Ceci dit, je ne sais pas si tu avais lu Mon sommeil sera paisible d’Alain Absire, dont le héros pratiquait le même métier, à la même époque, et j’avais trouvé ce livre excellent.

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    1. Il ne faut surtout pas craindre cette partie, c’est là tout l’art d’Isabelle Duquesnoy! Et puis Victor est un personnage qu’on apprend à aimer tout le long du roman. J’ai eu la chance de la rencontrer hier soir, quelle personnalité !
      Je ne connais pas le roman dont tu me parles, mais tu as piqué ma curiosité !

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