
C’est l’histoire d’une rencontre, et d’une renaissance.
En pleine nuit, sur l’isthme d’Eaglehawk Neck, en Tasmanie, Lucy sauve in extremis une pieuvre des roues d’une voiture. Mue par un instinct atavique, la pieuvre voulait gagner l’océan en traversant cette langue de terre, pour y pondre ses oeufs…
Mais Lucy ne peut éviter le choc avec la voiture, et elle chute lourdement – occasionnant des blessures salvatrices.
« Elle est meurtrie, brisée et libérée »
Car la jeune femme se remet d’une double mastectomie – après l’épreuve du cancer, la reconstruction de sa poitrine a eu des conséquences inattendues, complexifiant la cohabitation de son nouveau « moi » avec les autres, et notamment son petit ami Jem. Lucy a perdu de vue celle qu’elle est.
Sa rencontre fortuite avec la pieuvre, ce regard échangé avec elle et le contact de son tentacule enroulé avec confiance autour de son poignet vont offrir à Lucy la possibilité d’une reconquête de soi, à travers les rencontres et les choix déterminants qu’elle va faire.
Cette histoire est d’une originalité et d’une beauté incroyable.
Car Erin Hortle raconte d’une façon extraordinaire comment se tissent les liens (souvent invisibles) entre les hommes, les animaux, et la nature. Comment l’histoire est perçue, à hauteur d’homme, et à hauteur d’animal.
Elle invente une langue aussi imagée que rythmique, où les animaux marins (pieuvre, phoques) chorégraphient l’histoire dans un ballet narratif poétique, sensoriel et émotionnel.
Rarement il m’a été donné de lire des lignes aussi réalistes dans leur créativité, aussi criantes d’animalité. Rarement il m’a été donné de sentir à quel point les vies des hommes et des animaux faisaient écho les unes aux autres, pouvaient être aussi imbriquées les unes dans les autres.
Je laisse mon corps flotter d’avant en arrière et d’arrière en avant et d’arrière en arrière dans les courants les vagues qui bouillonnent tourbillonnent tout autour de moi et mes tentacules bouclent tournoient s’enroulent dans l’eau qui pétille contre moi et je suis légère je dérive je me laisse guider jusqu’à l’endroit où l’eau est pleine et languide où les courants ondulent en longues arches océans. Je touche-goûte-vois l’eau si propre si claire si pleine si prête si parfaite pour mes oeufs et l’eau s’enroule autour de moi et caresse ma douleur et mon corps est plein il est prêt.
« L’octopus et moi » est un roman engagé. Erin Hortle questionne le rapport au corps des femmes, la sexualisation des « attributs » féminins, et la réappropriation de notre corps.
Elle interroge également notre relation à l’écologie. Mais sa grande force est de laisser la place au doute, de ne pas se vouloir manichéenne ou moralisatrice.
Si vous avez eu la chance de voir le formidable documentaire « La sagesse de la pieuvre » sur Netflix, « L’octopus et moi » résonnera particulièrement en vous.
Mais que vous l’ayez vu ou pas, je vous recommande à tous cette lecture lumineuse et vibrante, enveloppée de la beauté sauvage des paysages austraux.
Traduction: Valentine Leÿs
Titre: L’octopus et moi (The Octopus and I)
Auteur: Erin Hortle
Editeur: Dalva – poche chez 10/18
Parution : 2021 (poche 2022)