La carte postale

Anne Berest La carte postale Grasset

Longtemps, Anne Berest s’est interrogée.

« Qu’est-ce qu’être juif? »

Porteuse d’un héritage familial occulté depuis la guerre, le mot « juif » n’avait pas de place visible sur son visage « tellement français », pas plus que dans son patronyme breton.

Lorsque sa fille de six ans, au même âge qu’elle, au même âge que sa mère, au même âge que sa Agrand-mère, est confrontée à l’antisémitisme, Anne Berest reprend alors une enquête qu’elle avait abandonnée quelques années plus tôt. Qui est l’auteur de cette carte postale envoyée à sa grand-mère Myriam treize ans auparavant, sur laquelle seuls quatre prénoms étaient inscrits: Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques. Les parents, la soeur, et le frère de Myriam, disparus dans les camps de la mort pendant la guerre.

C’est par le biais de cette carte que l’écrivaine découvre l’histoire de ses aïeux, juifs russes qui ont fui leur pays lors de la révolution d’un pays qui ne tarderait pas à s’en prendre à eux: après un long voyage de 10 ans, Ephraïm et Emma s’installent à Paris, certains qu’une vie meilleure les attend. Mais le monde, bientôt, allait plonger à nouveau dans le chaos, et les Rabinovitch, « juifs étrangers », allaient faire partie des premiers à être déportés vers les camps d’extermination. Seule Myriam, leur fille aînée, échapperait aux rafles et aux arrestations. Porteuse à jamais de la culpabilité d’avoir été survécu à sa famille, Myriam ne parlera plus jamais des siens.

L’enquête est vertigineuse, stupéfiante, parsemée de signes incroyables et troublants qui accompagnent ce besoin vital de découvrir l’identité de l’auteur de cette carte, et ses motivations. 

Pourquoi ces quatre prénoms sur une carte, sans autre explication?

Epaulée par sa mère Lélia, fille de Myriam, qui a archivé autant d’informations que possible sur sa famille, Anne Berest redonne peu à peu une histoire aux Rabinovitch, dans leur vie d’avant en Russie, et dans leurs exils, mais aussi dans leur culture juive. 

Cette culture dont la transmission s’est brutalement interrompue, elle l’interroge: elle n’en connaît ni les rites religieux, ni les prières, et doit même se justifier d’être juive auprès de ceux qui eux, ont grandi dans la toute conscience de leur judaïsme.

Déborah, je ne sais pas ce que veut dire « être vraiment juif » ou « ne l’être pas vraiment ». Je peux simplement t’apprendre que je suis une enfant de survivant. C’est-à-dire quelqu’un qui ne connaît pas les gestes du Seder mais don la famille est morte dans les chambres à gaz. Quelqu’un qui fait les mêmes cauchemars que sa mère et cherche sa place parmi les vivants. Quelqu’un dont le corps est la tombe de ceux qui n’ont pas pu trouver leur sépulture. (…)

Anne Berest, n’est pas seulement une voix douce qu’on prend un plaisir infini à écouter (et quel bonheur ce fut de l’entendre il y a quelques jours chez Augustin Trapenard dans Boomerang sur France Inter), c’est une voix brillante de la  littérature française, qui trace son chemin en transmettant avec sensibilité et justesse les histoires des autres.

Son roman, bouleversant de bout en bout, fait revivre des heures très sombres de notre histoire, de son histoire, qui peuvent être difficiles, mais nécessaires, à lire.

L’histoire familiale d’Anne Berest, nous en avions découvert une facette dans le formidable Gabriële, écrit à quatre mains avec sa soeur Claire. On la croise à nouveau ici, Gabriële Picabia, cette fascinante arrière-grand-mère. On croise Claire, aussi, dans un échange où les deux soeurs se doivent d’interroger leur sororité, mais aussi leur rapport à l’écriture, à la lumière de cette histoire familiale qu’Anne exhume.

Plus qu’une enquête familiale, « La carte postale » est la quête d’une femme qui cherche à comprendre son identité, et c’est seulement en en redonnant une aux siens qu’elle pourra y arriver.

Titre: La carte postale

Auteur: Anne Berest

Editeur: Grasset

Parution: Août 2021

2 réflexions sur “La carte postale

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