
En ce jeudi matin, le soleil invite à s’asseoir en terrasse pour un café.
Mais c’est à l’intérieur qu’on s’installe, aux Deux Magots, côté boulevard, où la maison d’édition Grasset a organisé la rencontre.
Il est tôt à Saint-Germain-des-Prés, c’est un peu le « before » de la journée – mais un before exceptionnel, car on a rendez-vous avec Anne Berest, la romancière et scénariste, qui a publié en août le roman d’une passionnante et bouleversante enquête familiale, « La carte postale ».
Dès son premier roman, « La fille de son père », Anne Berest avait amorcé un goût prononcé pour l’exploration des histoires familiales, mais c’est avec « Sagan 54 » que le caractère biographique de son oeuvre prend forme Elle l’extrapolera à sa propre famille, d’abord dans « Gabriële » écrit à quatre mains avec sa soeur Claire, puis avec « La carte postale ».
Anne Berest arrive, lumineuse malgré la pâleur du visage sans fard et s’excuse de la fatigue qu’on y lit – double effet d’un virus saisonnier et d’un retour tardif de Berlin, la veille, où elle était conviée pour le lancement Outre-Rhin de Gabriële.
Le soleil habille d’un halo les les tables garnies de viennoiseries, de boissons chaudes et de livres, prélude chaleureux à ce petit-déjeuner littéraire.
D’emblée, on délivre le message d’émotion ressenti à la lecture du roman. Assurément, il se passe une chose incroyable avec La carte postale « dont tout le monde s’empare », reconnaît Anne Berest. Le caractère communautaire du livre est une surprise forte.
Du récit familial au roman
C’est un travail inédit que l’auteure a dû faire, avec l’impression de s’attaquer à un projet trop grand pour elle. « C’était comme devoir grimper une montagne avec les mauvaises chaussures ».
Et sans savoir quelle en serait l’issue.
Car toute l’histoire du livre repose sur cette carte postale, reçue 20 ans plus tôt au domicile des parents de la romancière, adressée à sa grand-mère Myriam, et sur laquelle étaient inscrits de façon énigmatique quatre prénoms: Ephraïm, Emma, Jacques, Noémie. Les parents, frère et soeur de Myriam, morts à Auschwitz pendant la guerre.
Qui l’a envoyée? Et dans quel but?
En démarrant son enquête pour découvrir l’auteur de la missive, Anne Berest était dans la même situation que le lecteur: elle ne savait pas où cela l’emmènerait, et ne pouvait en présager la fin.
Aurait-elle choisi de continuer le roman, et de le publier, si elle n’avait pas eu les réponses qu’elle cherchait ? Elle répond sans hésitation oui. Car le sens de cette enquête, n’était-il finalement pas de pouvoir faire connaissance avec ses aïeux, et leur redonner leur histoire?
Une histoire passionnante, foisonnante, qui prend racine en Russie, d’où les Rabinovitch sont originaires, et que l’arrière arrière-grand-père d’Anne Berest, visionnaire, a entrepris de fuir après la révolution russe. Il s’installera en Palestine, ses enfants feront d’autres choix. Son fils Ephraïm, après un long périple, choisira la France, ce pays qui a défendu Dreyfus et qui ne pouvait qu’être une terre d’asile pour les juifs.
Retourner en Russie sur leurs traces pour accompagner l’écriture du livre faisait partie du projet de l’auteure – contrarié comme tant d’autres avec le confinement de 2020.
Il y aura au cours de cette enquête tant de rebondissements, tant d’indices tombés du ciel (Anne Berest souligne que cela arrive fréquemment lors d’enquêtes généalogiques), tant à dire sur cette famille grâce à laquelle elle découvre sa judéité, qu’elle coupera au final 250 pages qu’on aurait pourtant volontiers lues (le roman en fait plus de 500). En amont déjà, elle avait condensé des épisodes pour coller au rythme narratif (la visite de la maison familiale en Normandie, qui se passe en une matinée dans le roman, est en fait le fruit de plusieurs déplacement au cours des dix dernières années).

Un travail d’écriture en famille
C’est aidée de sa mère Lélia, petite-fille d’Ephraïm, qu’Anne Berest a pu écrire ce livre. Lélia, fille de Myriam, trait d’union entre les Rabinovitch et Anne Berest.
Lélia qui avait déjà entrepris un long travail de recherche sur sa famille, cumulant des cartons d’archives – un recours primordial pour l’avancée de l’enquête. Anne va associer pleinement sa mère à l’écriture de son livre, lui faisant lire les chapitres au fur et à mesure de l’écriture pour qu’elle se sente en phase avec son personnage.
Claire Berest, sa soeur, romancière avec laquelle elle a déjà écrit Gabriële « à quatre mains » a participé indirectement au livre. Anne a d’abord envisagé en faire un des personnages du roman, pour finalement l’inclure autrement dans l’enquête familiale, par le biais d’une correspondance qui met en exergue la relation des deux soeurs sous le prisme des racines retrouvées.
Déterrer ces racines enfouies dans le silence de Myriam après la guerre a permis à Anne Berest, élevée dans la laïcité prônée par ses parents soixante-huitards, de se ré-approprier une culture juive.
« Il n’a pas l’air juif, il a l’air de cent juifs »
Cette culture, Anne Berest la fait vivre à travers les rituels religieux qu’elle raconte, mais aussi à travers ce fameux « humour juif » qu’elle distille dans les paroles de Nachman et de son fils Ephraïm où l’on sent résonner l’accent du Shtetl.
« Yeder nar iz klug un komish far zikh » (chaque imbécile se croit intelligent)
La romancière a fait un travail intense sur les expressions les chansons, se plongeant dans le yiddish. Il en résulte un langage fleuri, qui ponctue le livre de délicieux proverbes. Anne Berest met en avant l’influence des frères Singer, qu’elle a beaucoup lus. Mais aussi l’aide de Lélia, philologue de formation, qui apprend le yiddish.
Un témoignage sur la guerre à transmettre aux plus jeunes
« La carte postale » n’est pas seulement un roman, mais un témoignage sur la seconde guerre mondiale et sur l’extermination des juifs. Il nous donne ce sentiment, d’apprendre encore sur la tragédie juive. De là à l’envisager comme une lecture essentielle pour les lycéens, il n’y a qu’un pas, et on sent Anne Berest touchée par cette perspective.
Elle a d’ailleurs attaché une attention particulière à raconter l’histoire de Myriam, Noémie et Jacques, adolescents pendant cette guerre. Leur histoire parlera-t-elle à nos adolescents, auprès desquels les derniers survivants de la Shoah, bientôt, ne pourront bientôt plus témoigner?
Ce roman ferait un formidable Goncourt des lycéens…
En route vers un prix littéraire?
Des photos de la famille Rabinovitch ont accompagné la sortie du livre. Et « la » carte postale illustre le bandeau du roman.
On fait remarquer à l’écrivaine qu’il eut été intéressant pour le lecteur que ces images soient intégrées au livre. Mais ce choix éditorial aurait fait du livre un document, pas un roman – et il n’aurait de fait pas eu sa place sur les listes des prix littéraires.
« La carte postale » figure dans la deuxième sélection du prix Renaudot et du prix Goncourt, malgré la polémique créée par l’invective de Camille Laurens dans le journal Le Monde. Le prix Femina a fait le choix surprenant de retirer de sa liste les deux ouvrages incriminés dans cette fameuse « affaire » du Goncourt 2021.
Anne Berest, elle, a choisi la discrétion à la surenchère sur cette affaire, préférant se concentrer sur la reconnaissance que le public réserve à son livre – lui, assurément, ne s’y trompe pas.
Propos recueillis le 7 octobre, tous mes remerciements à Anne Berest et aux éditions Grasset
J’ai adoré Gabriele et j’ai beaucoup aimé La carte postale. J’aime les récits vrai, les découvertes du passé et les secrets de famille…
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C’est un sujet passionnant, c’est vrai! J’en ai quelques autres du même genre à suivre dans mes prochaines lectures 😉
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Super énergie
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